Dans les pays industrialisés ayant à peu près surmonté les problèmes de l'alphabétisation et de la scolarisation, un important secteur de la production du livre est consacré aux enfants. Mais chez nous, les livres pour enfants (comme leurs créateurs) restent rares. Leur répertoire reprend, dans sa majorité, les thèmes folkloriques qu'a véhiculés il y a des siècles la littérature populaire ou orale. L'enfance n'est pas toujours ressentie comme telle, ne l'est toujours pas dans beaucoup de livres réservés aux enfants algériens. L'enfant-lecteur se trouve, dans la plupart des cas, dans un cercle fermé, où l'auteur, «intimement lié aux histoires des anciens» est dépendant des idées ataviques ou religieuses d'une époque révolue. Cette situation nous amène à poser la question suivante : quel est donc le héros des livres pour enfants algériens ? Aussi bien dans la littérature populaire ou folklorique, les héros-enfants ne sont pas à proprement parler vivants et singuliers. Ce sont des silhouettes assez floues, sans personnalité bien marquée. Ils nous apparaissent comme des figures statiques. Ils ne grandissent pas, ne vieillissent pas, ne se modifient pas, ne souffrent pas. Ils restent confinés dans un rôle, sans volonté pour agir, sans sensibilité pour ressentir, mus par des forces qu'ils ne contrôlent pas. Très évidemment dans le cas de la littérature didactique, mais aussi dans le conte populaire ou folklorique, on se trouve devant des personnages prétextes, placés au centre du récit, tel un catalyseur qui permettrait la réussite de l'expérience. Ou bien les héros reçoivent les directives d'une morale religieuse, ou bien ils sont livrés aux images que décharge leur inconscient, ou tout simplement abandonnés à la fantaisie de leurs créateurs (souvent inconnus). Et, tout bien considéré, ils figurent au deuxième plan. Ce qui compte, ce sont les péripéties de l'histoire, le déroulement de l'aventure et ses implications morales ou poétiques. Quant aux héros, il leur manque même la condition première de l'existence : une identité. Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Nul ne saurait le dire ! L'exemple de M'qideche, dans le conte M'qideche et l'ogresse est dans ce cas édifiant. Les rares créateurs que compte notre littérature enfantine ont souvent privilégié dans leurs contes «les enfants du peuple», les enfants des montagnes et des champs. On peut remarquer qu'ils jouissaient à plein du contact avec la nature, leurs poumons s'emplissaient d'air pur, leurs muscles s'endurcissaient sans peine et ils bénéficiaient en outre de l'affection fruste, un peu animale sans doute, mais vitale et désintéressée de leurs parents. Dans les vingt dernières années, des écrivains algériens ont écrit des histoires sur «l'enfant et l'école». Ils ont repris une idée occidentale déjà vieille de deux siècles ! En effet, l'enfant quittera la chaleur et l'intimité du foyer familial pour un autre refuge tout aussi naturel, tout aussi rassurant, tout aussi protecteur : l'école. Cependant, on décèle parfois une vision critique chez certains auteurs. En effet, si le but de la scolarisation est l'épanouissement de l'enfant, il peut y avoir une contrainte venue précisément de la famille ou de l'école. On découvre - heureusement - que parmi les droits de l'enfant à la santé, à l'instruction, à l'affection, il y a aussi le droit… à la liberté. Un thème où excellent déjà les écrivains anglo-saxons depuis le XIXe siècle. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !