Il est urgent que les familles des moines assassinés à Tibhirine puissent connaître ce qui s'est passé. Le nombre de Français ayant rejoint Daech est de 25 000, dont plus de 50% sont des convertis, 2000 sont impliqués directement, 6000 sont dans les zones de combat. Ce sont quelques propos tenus lors d'une conférence de presse animée hier par le ministre de la Justice, Tayeb Louh, et son homologue française, Christiane Taubira. L ors de la conférence de presse animée hier à Alger, le ministre de la Justice Tayeb Louh et son homologue française, Christiane Taubira, sont revenus sur plusieurs sujets : les enquêtes sur l'assassinat des moines de Tibhirine, à Médéa, les attentats de Paris en novembre dernier, mais aussi sur les Français enrôlés dans les rangs de Daech, les Algériens détenus à Guantanamo, la lutte antiterroriste et la coopération judiciaire entre les deux pays, renforcée par une convention juridique entre les deux ministères. Lors de cette séance de questions-réponses, c'est la ministre française qui a eu la part du lion. En visite de trois jours à Alger, Christiane Taubira s'est exprimée avec beaucoup de non-dits qui, pourtant, en disent long. D'abord sur la question de l'enquête française sur l'assassinat des moines de Tibhirine : «La procédure relative à cette enquête se poursuit. Elle prend beaucoup de temps.» Et de préciser : «Il reste quelques actes d'experts à accomplir.» Elle reconnaît néanmoins que ce dossier a connu «beaucoup d'incompréhension et de malentendus» mais, dit-elle, «il est urgent que les familles puissent connaître ce qui s'est passé et mettre un terme à ce dossier». Elle n'en dit pas plus. La ministre est restée très prudente quant aux réponses relatives aux attentats de Paris, prétextant le fait que «la procédure est toujours en cours». Selon elle, l'enquête se poursuit avec la «désignation de 6 juges d'instruction», soulignant que «les 6 demandes d'entraide pénale lancées ont obtenu des réponses». «Deux sur les 9 auteurs des attaques n'ont pas encore été identifiés», indique la ministre française. Sur les «combattants étrangers» enrôlés par Daech, Mme Taubira affirme que le nombre de Français recrutés par ce groupe terroriste qui active en Syrie et en Irak, a atteint les 25 000, dont plus de 50% sont des convertis. Parmi eux, 2000 sont impliqués directement et 6000 sont dans les zones de combat. Elle dit avoir recensé 700 personnes candidates à l'enrôlement, 250 autres sont dans les zones de transit en attendant de rejoindre les territoires de Daech, 250 ont fait le chemin du retour et 145 sont mortes dans les combats. Elle évoque la plateforme d'appel mise en place par les autorités françaises qui «a permis la signalisation de 3900 personnes, dont 70% sont des hommes et 77% des majeurs alors que 10% seulement partent officiellement». Concernant le rôle de l'Algérie dans la lutte antiterroriste, Mme Taubira reste néanmoins énigmatique. Autant elle fait l'éloge des autorités qui «ont disséqué seuls» les groupes terroristes autant elle insister sur le fait «qu'aujourd'hui les modes opératoires de ces derniers ont changé» et «appellent à une autre vision» de cette lutte. «L'expérience de l'Algérie est utile. Elle a réussi à disséquer le mode opératoire des groupes terroristes. Aujourd'hui, le terrorisme connaît une autre échelle, adopte d'autres modes opératoires et, de ce fait, appelle à d'autres méthodes et d'autres expériences. Il s'agit d'agir d'abord des réseaux de financement du terrorisme. Nous le faisons au niveau européen et multinational. Nous savons qu'il peut être massif à travers la rente pétrolière, complexe à travers la criminalité organisée, le trafic de drogue, d'armes et la contrebande, et enfin discret par les microfinancements et les crédits à la consommation», déclare la garde des Sceaux française. Interrogée sur les 140 perquisitions administratives ayant ciblé des Français, surtout d'origine maghrébine, Mme Taubira répond : «Le pays est en droit de se protéger et l'Exécutif doit prendre les mesures nécessaires. Tous ces actes sont pris sous le contrôle de la justice.» Elle rappelle une circulaire qu'elle a signée avec son homologue de l'Intérieur, «obligeant les services de sécurité à agir en présence d'un officier de la police judiciaire lors des perquisitions administratives». A propos des difficultés que rencontrent, en France, les Algériens qui adoptent des enfants dans le cadre de la kafala, la ministre de la Justice française reconnaît une «certaine incompréhension» de la procédure de la kafala, qui, selon elle, «est une pratique qui relève du système parental, nécessitant une meilleure connaissance. La kafala est un sujet majeur, mais moins compliqué que l'adoption dans les pays européens».