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70 ans au service de l'idéal national
Hocine Aït Ahmed chef historique de la révolution et opposant politique après l'indépendance
Publié dans El Watan le 24 - 12 - 2015

Un des chefs historiques incontestés de la Révolution de Novembre et militant aussi farouche qu'infatigable de la démocratie, Hocine Aït Ahmed s'est éteint hier à Lausanne (Suisse) à l'âge de 89 ans. Son destin se confondant avec celui du pays, l'immense leader politique qu'il a été s'en va sans avoir vu se réaliser l'idéal de l'Etat de droit et des libertés pour lequel il a voué près de 70 ans de sa vie.
Tout juste 19 ans, Hocine est l'un des chefs régionaux d'une révolution annoncée pour le 22 mai 1945. Comme le fut son aïeul, le saint et poète cheikh Mohand-Oulhoucine, le jeune lycéen est déjà un leader dans sa région natale de Aïn El Hammam, entre les siens et ses congénères. La force de son verbe politique n'avait rien à envier en persuasion aux vers et versets de son grand-père. Rebelle fougueux, il ne comprend pas la décision de la direction du Parti du peuple algérien (PPA) d'annuler les opérations armées quelques heures avant l'heure fatidique.
Déçu mais déterminé, il rentre bredouille au Lycée de Ben Aknoun. Il passe, avec succès, la première partie de l'épreuve du baccalauréat. Néanmoins, l'apprenti-révolutionnaire décide d'arrêter les études pour se consacrer entièrement à la politique, chez lui en Haute-Kabylie. Radical depuis les massacres du 8 Mai 1945, il se trace l'objectif de pousser le PPA, qu'il a rejoint à Alger dès 1942, vers l'option d'une lutte armée.
Le boss de L'OS
A l'occasion du congrès du PPA-MTLD en février 1947, Hocine Aït Ahmed, représentant le district de Kabylie, propose la création d'une Organisation Spéciale (OS). L'OS avait pour mission d'acheter des armes et d'entraîner des combattants. Cette organisation paramilitaire est dirigée par Mohammed Belouizdad, secondé par Aït Ahmed. Ce dernier devient, en outre, membre du comité central (CC) et du bureau politique (BP). En novembre 1947, Madjid, de son nom de guerre, prend la tête de l'OS, en succédant à Belouizdad, gravement malade. Il a désormais un boulevard devant lui pour réaliser son projet patriotique.
En décembre 1948, un CC élargi du PPA-MTLD a été convoqué à Zeddine (Aïn Defla) pour traiter une crise latente au sein du parti connue comme étant «la Crise berbériste 1949». Aït Ahmed, chef national de l'OS, rédige un rapport sur les orientations idéologiques d'un éventuel soulèvement armé en s'appuyant sur l'histoire de l'Algérie, allant de Jugurtha jusqu'aux résistances populaires contre le colonialisme français. «Ce document est l'analyse la plus cohérente et la plus radicale produite alors par un dirigeant algérien», écrit Mohammed Harbi.
Ce manifeste révolutionnaire est couronné par l'expression «identité algérienne» en opposition au jargon messalien d'«identité arabo-musulmane» de l'Algérie. Les membres du CC élargi votent à l'unanimité la motion d'Aït Ahmed. Il n'y avait qu'une seule voix contre, et une abstention qui était celle de Messali lui-même. Après son succès à Zeddine, Si Madjid part en quête d'argent pour acheter des armes et préparer la guerre de libération imminente. Dans ce cadre, le chef national de l'OS organise l'attaque de la Grande-Poste d'Oran, conjointement avec le chef régional de l'Oranie, un certain Ahmed Ben Bella. Grâce à la planification des deux hommes, un commando de l'OS passe à l'action le 5 avril 1949 et récupère plus de trois millions d'anciens Francs.
Ce nouveau succès déplaît aux Messalistes. Et voilà qu'Aït Ahmed est rattrapé par la purge antiberbériste. Il est accusé d'être l'une des têtes pensantes des berbéristes. En juillet 1949, en son absence, la direction d'Alger décide de dissoudre toutes les sections de l'OS en Kabylie. En septembre, il est remplacé par Ben Bella à la tête de l'OS et se voit également exclu officieusement du CC et du BP. Il ne découvrira ces changements qu'en décembre 1949. Depuis, et jusqu'à fin 1951, ne recevant aucune nouvelle affectation, il vit dans la clandestinité civile totale. Il profite de cette période pour revoir sa famille et se marier avec Tounsia Toudert, dite Djamila.
L'artisan de Bandung
Sur le plan politique, le MTLD est au bord de l'éclatement. Les autorités coloniales découvrent l'OS et arrêtent des centaines de militants à travers tout le territoire national. Ben Bella lui-même est arrêté à Alger en mai 1950. Dans ce contexte, après plusieurs mois de tergiversations, la direction du MTLD reprend contact avec Aït Ahmed. En octobre 1951, il est exfiltré d'Alger dans un bateau, en partance vers Marseille. Il monte à bord, vêtu en officier de la marine.
Mostefa Ben Boulaïd, ex-responsable de l'OS aux Aurès, fait établir à son ex-responsable hiérarchique une fausse carte d'identité. Hocine Aït Ahmed s'appelle temporairement Saïd Farhi, né au douar des Ouled Aouf (Batna). Après une escale en France et en Suisse, le faux Farhi rejoindra la délégation extérieure du MTLD au Caire, à partir du 1er mai 1952. Après le congrès de la discorde en 1953, Si El Hocine reste neutre dans la lutte fratricide entre Messalistes et Centralistes. Ensuite, il soutiendra le Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA), créé en mars 1954, une troisième voix qui prône le choix d'une révolution armée.
En attendant, le nouveau Cairote pose sa première pierre dans l'édifice d'une diplomatie algérienne. En janvier 1953, il prend part à la première conférence des partis socialistes asiatiques à Rangoon (Birmanie). Cette organisation marxiste a soutenu aussitôt le principe de décolonisation de l'Afrique du Nord. Il profite de ce voyage pour se rendre au Pakistan, en Inde et en Indonésie pour créer des comités de soutien à l'autodétermination du peuple algérien.
Le 1er Novembre 1954, Aït Ahmed, Khider et Ben Bella (il s'est évadé de la prison en 1952 et a fini par rejoindre la capitale égyptienne., ndlr) étaient au Caire pour rendre publique la proclamation du Front de libération nationale (FLN). En avril 1955, Hocine Aït Ahmed conduit une délégation algérienne à l'historique Conférence de Bandung.
D'après l'historien français Yves Courrière, c'est uniquement grâce à sa persévérance que la question algérienne sera inscrite à l'ordre du jour. Il est resté en Indonésie, plusieurs semaines avant ce rendez-vous, afin d'arracher l'accord du président Soekarno. Au début de l'année 1956, Aït Ahmed et son compagnon M'hammed Yazid réussiront à ouvrir un bureau du FLN auprès des Nations unies à New York.
L'inspirateur du GPRA
Pendant ce temps là, le Congrès de la Soummam est organisé le 20 août 1956. Si El Hocine ne sera mis au courant que le 17 octobre de la même année. «Khider m'a dit que moi et Boudiaf, nous étions appelés à y participer. Je lui ai demandé : alors pourquoi vous ne me l'avait pas dit ? Je ne le savais pas !», témoigna, dans une émission radiophonique, celui qui devait fêter ses 30 ans à la Soummam. «Ben Bella et Boudiaf ne sont pas d'accord avec les résolutions du Congrès.
Nous devrons nous réunir à Madrid», lui a répondu Mohamed Khider. Cela sans compter sur l'«acte de piraterie caractérisé, en violation du droit international», selon l'expression d'Aït Ahmed, orchestré par les services français, le 22 octobre 1956. Le Douglas DC-3 d'Air Atlas, à destination de Tunis, a été détourné vers Alger avec à son bord cinq chefs du FLN : Aït Ahmed, Ben Bella, Boudiaf, Khider et Lacheraf.
En prison, Aït Ahmed continue la lutte à sa manière.
Il a entretenu une correspondance régulière, jusqu'à l'indépendance, avec les chefs de la Révolution. D'après Rédha Malek, «l'idée de créer le gouvernement provisoire, comme action radicale et un point de non-retour vers l'indépendance, est venue de Hocine Aït Ahmed». Lors d'une réunion du Conseil national de la Révolution (CNRA), tenue au Caire en août 1958, ce projet sera concrétisé. Le 19 septembre, Ferhat Abbas fait sa première déclaration en tant que président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).
Quelques mois plus tard, le colonel Houari Boumediène, chef de l'état-major général, rentre en dissidence contre le GPRA. Selon Aït Ahmed, alors que les Cinq étaient encore en prison, «Boumediène a envoyé Bouteflika recruter l'un (d'eux) (…) Boudiaf leur a dit ‘non'. En cee qui me concerne, il n'était pas question de m'en parler, ils connaissaient déjà mon point de vue idéologique. Ils se sont rabattus sur Ben Bella». A la signature des Accords d'Evian, le 19 mars 1962, tous les prisonniers politiques ont été libérés. Le tandem Ben Bella-Boumediène prend vite forme, soutenu dans ses débuts par Mohamed Khider.
L'indépendance confisquée
Ils organisent un congrès du CNRA sur mesure, le 27 mai 1962, à Tripoli, et imposent sans vote les membres du BP. Refusant de participer à la guerre intestine entre le futur «Groupe de Tlemcen» et le GPRA, Si El Hocine démissionna de toutes les instances révolutionnaires, fin juillet. «Je démissionne de tous les organismes directeurs de la Révolution. Cette décision est irrévocable. Elle répond au consensus populaire, au désir profond du peuple qui rend responsables tous les dirigeants, sans exception, de la situation actuelle et qui voudrait les voir tous s'en aller», s'est-t-il justifié.
Il a appelé le comité interwilayas — constitué le 25 juin 1962 par les Wilayas II, III, IV, la Zone autonome d'Alger et la Fédération de France — à «dégager une formule de réconciliation nationale et d'une direction incontestée». Mais ce comité, initié par Boudiaf et Krim Belkacem, prendra la forme d'un autre clan, sous la dénomination du «Groupe de Tizi Ouzou», et entre en conflit avec l'état-major général. Aït Ahmed s'en démarqua rapidement.
Le 3 août 1962, Ben Bella et ses alliés imposent un nouveau BP. Le GPRA est dissous. L'artisan de Bandung refuse encore une fois de s'associer à ce coup de force, contrairement à Boudiaf qui y participe cette fois-ci (les deux hommes ont déjà refusé la même proposition du Groupe de Tlemcen, le 22 juillet, ndlr). Le 9 septembre, l'armée des frontières rentre victorieuse à Alger. Le 20 septembre, l'Assemblée nationale constituante (ANC) a été élue sur liste unique. Tous les responsables de la Révolution sont désignés députés d'office. Le 25 septembre, Ferhat Abbas est élu président de l'ANC.
Le 29 septembre 1962, Ben Bella forme le premier gouvernement de l'Algérie indépendante : «Un gouvernement clanique et régionaliste.» Ce que dénoncera Aït Ahmed, le 5 juillet 1963, à l'occasion de la célébration du premier anniversaire de l'indépendance. «(Le groupe de) Tlemcen c'est la démagogie révolutionnaire. C'est la politique de clans. Ce sont les alliances du hasard et c'est la guerre civile, il faut faire le contraire (…) Que Ben Bella fasse un gouvernement d'union nationale avec les véritable révolutionnaires, je le soutiendrai, ou qu'il s'en aille», a-t-il martelé, dans un documentaire coproduit et diffusé par les télévisions algérienne et française. En vain.
Durant la dernière semaine du mois d'août 1963, les pro-Ben Bella se réuniront à la salle de cinéma le Majestic (actuellement l'Atlas) et adoptent un texte d'avant-projet pour la Constitution sans que la sous-commission de la rédaction de ce texte, désignée par l'ANC, ne soit au courant. Ce texte sera adopté par la plénière de l'ANC du 28 août. La toute nouvelle Constitution sera approuvée par référendum national le 8 septembre et promulguée le 10. «La Constitution a été faite dans un cinéma par des gens triés sur le volet.
Et puis, comme à chaque fois, ils essayent de respecter les normes en l'imposant à l'Assemblée constituante. C'est là, par le sens de l'honneur chez certains, comme Ferhat Abbas, qu'ils ont démissionné», nous rappelait souvent Si El Hocine. Cette version est, d'ailleurs, confirmée par Ali Haroun, membre de la commission de rédaction de la Constitution.
La fondation du FFS
Le 15 septembre 1963, Ben Bella s'impose comme le premier président « élu » de l'Algérie indépendante. Houari Boumediène est nommé vice-président de la République et ministre de la Défense. Devant cet entêtement autoritaire, plusieurs responsables de l'ALN et du FLN décident de créer un autre parti politique, selon Aït Ahmed, pour «présenter spectaculairement une alternative pacifique et faire échec au coup de force constitutionnel».
Parmi les initiateurs, on trouve Ali Mécili, ancien agent du MALG, Mohand Oulhadj, dernier chef de la Wilaya III, Lakhdar Bouregaa, commandant de la Wilaya IV, Ali Yahia Abdennour, etc. Leur première action a été d'organiser une campagne de boycott du référendum sur la Constitution. Ils se sont également opposés catégoriquement aux idées de l'Union pour la défense de la révolution socialiste (UDRS), parti clandestin créé en juin 1963 par Krim et les anciens du groupe de Tizi Ouzou. L'UDRS prônait clairement la lutte armée contre l'ANP.
Lors d'un meeting populaire organisé au centre-ville de Tizi Ouzou, le 29 septembre 1963, Aït Ahmed et le colonel Oulhadj proclament officiellement la création du Front des forces socialistes (FFS) qui privilégiait une résistance politique, sans négliger pour autant la voie militaire défensive.
Il sera taxé immédiatement de «parti antirévolutionnaire» par Ben Bella. Au lendemain de la proclamation du FFS, il déclare que l'«insurrection d'Aït Ahmed est soutenue par le roi du Maroc», et invoque l'«union patriotique contre une agression extérieure», en faisant le lien avec La guerre des Sables (septembre 1963 - février 1964), déclenchée par le Maroc à nos frontières sud-ouest. «Je lance un appel à tous les moudjahidine de la Kabylie pour rejoindre le front contre les troupes royales à l'ouest du pays», a insisté le premier président algérien, à travers les médias et surtout des médiations auprès des responsables du FFS. Aït Ahmed lui-même n'était pas contre ce principe mais refusa de se rallier.
Le 15 octobre 1963, l'ANP annonce la mobilisation générale de ses troupes ; ce qui pousse le colonel Oulhadj à la tentation de ralliement. Le 24 octobre, il donne à ses hommes l'ordre de rejoindre l'ANP à la frontière marocaine, avec toutes leurs armes et munitions. Ali Yahia Abdennour se ralliera à son tour. Le FFS est décapité.
Le 26 octobre, lors d'une conférence de presse à Aïn El Hammam, Aït Ahmed dénonce les ralliements de ses camarades. Malgré l'étau qui se resserre sur lui, il a refusé de se rendre. Au contraire. Il décide de soutenir le principe d'une action commune de l'opposition algérienne, notamment après les dissidences de Boudiaf, Khider et le colonel Chaabani.
La réponse du régime est féroce. Pas moins de 400 militants du FFS tomberont au champ d'honneur, victimes des ratissages et d'expéditions punitives de l'ANP. Aït Ahmed lui-même échappe à une embuscade le 14 octobre 1964 à Tigzirt, où son secrétaire Tahar Tamzit sera tué. Trois jours plus tard, il est arrêté à Aïn El Hammam, en compagnie d'Ali Mécili. Le lendemain, Alger Républicain titre : «L'ANP capture le traître Aït Ahmed».
Lutte contre le parti unique
Le chef du FFS est emprisonné à Lambèse (Batna) puis à la prison d'El Harrach. Condamné à mort, il bénéficie d'une grâce présidentielle en 1965. Depuis sa cellule, il continuait à donner des instructions aux responsables du FFS clandestin comme le colonel Sadek (Slimane Dehiles) et Yaha Abdelhafid. Ahmed Ben Bella, subissant les pressions du bloc socialiste international et l'insolence grandissante de Boumediène, décide de négocier avec Aït Ahmed. Ce dernier accepte à condition qu'il soit représenté par les cadres du FFS en liberté.
Ce fut effectivement le cas, après une réunion secrète à Paris. Le 16 juin 1965, un communiqué commun FFS-FLN a été rendu public. L'accord portait sur plusieurs points : le cessez-le-feu, l'indemnisation des familles des militants tués par l'ANP, la réhabilitation des militants FFS dans leur statut d'anciens combattants de l'ALN, et enfin libérer tout les détenus politiques.
Découvrant ce qui se tramait derrière son dos, Houari Boumediène ordonne l'arrestation de Ben Bella, le 19 juin 1965, sous prétexte de «corriger le cours révolutionnaire». Si El Hocine est affirmatif sur la raison de ce coup d'Etat : «La véritable cause, c'est le communiqué commun FLN-FFS (…) Les gardiens du temple ne voulaient pas l'ouverture de la voie à une opposition.». Le nouveau Président s'est engagé, néanmoins, à respecter ledit accord. Il commence par la libération de tous les détenus politiques, sauf le zaïm. Aït Ahmed, dont la libération est retardée d'une occasion à une autre, reprend ses études en prison et réussit la deuxième partie de son baccalauréat.
Le 1er mai 1966, il se fait la belle. Exilé en Suisse, il se consacre aux études de droit. Il a une licence à Lausanne et part en France poursuivre ses études en post-graduation. En 1975, il obtient le doctorat de l'université de Nancy après avoir présenté une thèse sur «Les droits de l'homme dans la charte et la pratique de l'Organisation de l'unité africaine (OUA)». Cependant, docteur Aït Ahmed est toujours patron du FFS clandestin. Il suit la vie politique nationale et dirige les bases militantes de son parti, bien ancré en Kabylie.
Ce sont les jeunes militants du FFS comme Rachid Halet, Saïd Khellil, Djamel Zenati, Saïd Sadi, Ferhat M'henni, etc., qui ont mené la révolte du 20 Avril 1980, communément appelé «Printemps berbère». Le 24 avril, le zaïm interpelle Chadli Bendjedid par le biais de la télévision française, le sommant d'«arrêter la répression des manifestants (…) La revendication culturelle en Kabylie s'inscrit dans l'ensemble des revendications sociales, politiques et culturelles de l'Algérie».
Cinq ans plus tard, après un travail acharné de son lieutenant Ali Mécili, Hocine Aït Ahmed accepte de se réconcilier avec Ahmed Ben Bella, président du Mouvement pour la démocratisation de l'Algérie (MDA). Les deux frères-ennemis animent ensemble la conférence de Londres, le 16 décembre 1985 (l'intégralité de cette conférence est disponible sur YouTube). Dès l'entame de son intervention, Aït Ahmed précise à l'assistance qu'il n'était pas d'accord avec Ben Bella sur les plans politique et idéologique.
«C'est la situation générale de notre pays qui fait que nous nous sentions le devoir moral d'intervenir. Sinon, il y aurait non-assistance à un peuple en danger», a-t-il justifié l'alliance avec son ancien bourreau. Les deux chefs historiques ont lancé un appel pour unifier l'opposition et imposer la démocratisation du pays. Le vent de cette ouverture escomptée soufflera un certain 5 Octobre 1988. Le 10 octobre, après des manifestations qui ont causé plusieurs morts et des centaines de blessés, le président Chadli annonce l'avènement du multipartisme.
À la recherche d'un consensus national
Hocine Aït Ahmed rentre à Alger le 15 décembre 1989. Il est reçu à l'aéroport en héros national par des milliers de personnes. Il déclare à l'ENTV : «Je souhaite que le processus démocratique se redresse et s'amplifie jusqu'à ce qu'il atteigne un point de non-retour.» Or, dès son retour, le zaïm sera déçu par le climat politique général. Il voit dans les dissidences internes au FFS comme des tentatives de déstabilisation menées par les services de renseignements. «Pour que mon mouvement n'apparaisse pas comme une alternative sérieuse, on m'a créé le RCD puis le FFS 2 (aile dissidente conduite par Yaha Abdelhafid)», avait confié Si El Hocine à la journaliste Dominique Sigaud (La Fracture algérienne, 1991). Le FFS tient, quand même, son premier congrès sous la légalité du 13 au 16 mars 1991.
Le plus vieux parti d'opposition décide de prendre part aux élections législatives, prévues en juin et reportées au mois de décembre. Au premier tour de ces élections, le 26 décembre 1991, le Front islamique du salut (FIS) remporte la majorité des sièges. Le FFS arrive en deuxième position mais très loin derrière. Après la victoire écrasante du FIS, en passe de remporter 2/3 des sièges de l'Assemblée nationale, Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense, consulte Aït Ahmed qui lui suggère énergiquement de maintenir le deuxième tour. Le 2 janvier 1992, le FFS organise une grande marche populaire à Alger pour demander le maintien du processus électoral.
Aït Ahmed scande à la foule nombreuse : «Les jeux ne sont pas encore faits, l'espoir est permis. La démocratie n'a pas perdu, la démocratie n'est pas perdue.» Pari perdu. Chadli démissionne le 9 janvier. Le 11 janvier 1992, Nezzar annonce, au nom de l'armée, l'arrêt du processus électoral. Le 12, Aït Ahmed dénonce ce qu'il appelait «un coup d'Etat militaire ». Le FFS adopte, dès lors, le fameux slogan : «Ni Etat policier, ni Etat intégriste».
Après la démission de Chadli, le président du Conseil constitutionnel, Abdelmalek Benhabylès, décline le poste de Président par intérim. L'armée fera appel ensuite à Mohamed Boudiaf, surtout après avoir essuyé un refus catégorique d'Aït Ahmed. «Le coup d'Etat a créé un tel déficit démocratique que seul un historique pouvait compenser, d'où le choix entre moi et Boudiaf. Moi j'ai refusé, j'ai dit qu'il s'agit d'un coup d'Etat que je ne peux pas cautionner», rappelle Aït Ahmed, dans de nombreux témoignages. «Moi, dit-il, j'ai mes convictions.»
Depuis l'assassinat de Boudiaf, un contexte de guerre civile règne en l'Algérie. Dans ces conditions délétères, le FFS organise la rencontre de Sant' Egidio (Italie), le 13 janvier 1995. A travers la «Plateforme nationale de sortie de crise», Aït Ahmed a mis en avant la réconciliation nationale et la reprise des négociations entre les différents mouvements politiques algériens, y compris le FIS. La quasi-totalité de la classe politique nationale a pris part à cette initiative.
Les rares personnalités qui l'ont rejetée participeront à l'élection présidentielle de novembre 1995. Sans surprise, le général Liamine Zeroual a été élu président de la République. Pas pour longtemps. Cédant à la pression de certains cadres de l'armée, il démissionne fin 1998 et annonce l'organisation d'une élection anticipée. Aït Ahmed rentre au pays le 2 février 1999, et annonce sa participation aux élections trois jours plus tard, «après la parole et les garanties données par Zeroual quant à la transparence des élections». La fraude massive en faveur du candidat de l'armée, Abdelaziz Bouteflika, pousse le candidat du FFS à se retirer de la course électorale, à la veille du scrutin, avec les cinq autres candidats. Depuis, Bouteflika règne sans partage.
La dernière tentative personnelle d'Aït Ahmed de bâtir un projet de consensus national remonte à septembre 2007. Il a initié une alliance politique avec Abdelhamid Mehri et Mouloud Hamrouche, baptisée l'«Initiative des trois». Son objectif était de trouver une sortie de crise consensuelle. Cette idée a inspiré, en grande partie, la conférence nationale du consensus que prépare actuellement le FFS. Sa réussite sera l'ultime hommage à rendre à la carrière exceptionnelle du zaïm Hocine Aït Ahmed.


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