Le choix du président François Hollande de maintenir la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité ne passe pas sans souci dans le camp de la gauche française ni même dans certaines franges de la droite républicaine. La volonté gouvernementale d'imposer la déchéance de la nationalité pour les terroristes binationaux suscite des réactions vives. D'ailleurs à la présidence de la République française, on réfléchissait déjà, avant la trêve de Noël, à avoir recours au référendum plutôt qu'à un vote des deux Chambres représentatives, par peur de la difficulté à faire passer le texte à nombre d'élus. A la rentrée de janvier, puis en février, le thème va être repris à satiété, certains se demandant si François Hollande ne court pas après Marine Le Pen dont le parti est le seul à applaudir le président français. Hier matin, dans le journal La Voix du Nord, l'ancien juge antiterroriste Marc Trédivic a donné le ton juste : «On n'exporte pas un terroriste ! Que se passerait-il si l'Algérie et les Etats-Unis nous adressaient des déchus ? Allons-nous les accepter ? (...) En réalité, c'est faire beaucoup de bruit pour rien et risquer, vraiment, de fabriquer des apatrides.» Il a ajouté être «très surpris de voir avec quelle rapidité on range nos principes au placard. Que se passera-t-il, demain, si un régime autoritaire qualifie très largement des opposants de ‘terroristes' ? » Il faut rappeler que le texte proposé amènerait à expulser les terroristes binationaux, même s'ils sont nés français, après avoir purgé leur peine. Pour le journal Le Point, la question posée est de l'ordre de «l'absurdie» : «Un binational (…) qui commet des crimes odieux sur le territoire national est un problème français et uniquement français. Assumons ! Pense-t-on sérieusement que l'Algérie, le Maroc, la Tunisie ou le Mali vont accueillir, sans broncher, au sortir de trente ans de prison, un individu qui a grandi en Ile-de-France au prétexte que la France l'a déchu de sa nationalité ? Evidemment, non ! Imaginons un instant l'inverse... » Le Monde dans son édition de jeudi est très sévère, estimant que la mesure, si elle est votée, «revient à instituer deux catégories de Français, ceux qui le seraient sans conteste et ceux qui ne le seraient pas complètement au motif que leurs parents ou grands-parents ne l'étaient pas. Comme la République, la citoyenneté est indivisible. D'autre part, en reprenant à son compte une mesure réclamée depuis longtemps par le Front national, le chef de l'Etat prend la responsabilité, majeure, d'en banaliser la détestable logique xénophobe». Nicolas Beau sur son site en ligne Mondafrique résume l'état d'esprit qui gêne les mouvements progressistes en France : «Les sondages revenant à la dure réalité d'un piètre quinquennat, le chef de l'Etat a cru bon, pour quelques calculs politiciens, d'inscrire dans la Constitution après les attaques de novembre, la déchéance de nationalité, qui transforme plusieurs millions de Français — deux, trois ? — en citoyens de seconde zone, ou encore en ‘‘binationaux'' condamnés, aujourd'hui pour terrorisme et demain parce que différents, à une non-existence juridique. Marine Le Pen aurait-elle marabouté le président français ?» Cette hantise d'inscrire dans la Constitution une telle inégalité fait bondir beaucoup de gens de gauche. Ainsi chez les Verts, Cécile Duflot, ancienne ministre, indique : «Il faut savoir poser des bornes infranchissables. A force de vouloir couper l'herbe sous le pied du FN, on risque d'appliquer son programme.» Elle demande à «toutes les consciences républicaines de se réveiller et refuser cette pente glissante» pour voter contre le texte. Pour Martine Aubry, une des figures de proue du Parti socialiste, «c'est jeter la suspicion sur un grand nombre de Français qui sont des binationaux. C'est une rupture d'égalité». L'ancienne ministre socialiste de la Culture Aurélie Filipetti, en rupture de ban avec le gouvernement, enfonce le clou, disant que c'est une «manœuvre tactique dangereuse. A trop jouer avec le FN, on risque le boomerang. Ce n'était pas la leçon des urnes». Ce que résume l'ancien leader de Mai 1968, ancien député européen, Daniel Cohn Bendit, c'est une «erreur morale». En Italie, le quotidien Il Manifesto a osé la une qu'en France personne n'aurait faite : «François Le Pen».