Hocine Aït Ahmed dort enfin du sommeil du juste après de glorieux périples qui l'ont mené très loin dans la légende et les contrées du monde. 70 ans de combats durant lesquels son nom et son image, malgré les infâmes et régulières entreprises de brouillage du régime, ont surgi à toutes les séquences historiques du pays, imposant l'homme comme l'une des consciences les plus clairvoyantes et les plus structurantes de l'Algérie contemporaine. Ses victoires on été celles du militant d'abord, alors que le capital des légitimités acquises par le seul prix de son engagement exceptionnel aurait pu le propulser tout naturellement sur des trajectoires de pouvoir qu'aucune logique n'aurait objectées. A peine sorti de l'adolescence, le descendant de Cheikh Mohand Ou L'Hocine a dédaigné le confort social et matériel du legs ancestral pour assumer la très coûteuse confrontation avec la monstruosité coloniale. C'est dans cette bravoure originelle qu'Aït Ahmed a trempé son caractère entier de militant, même si, sans nul doute, à l'indépendance, l'opposant aurait préféré s'engager dans l'édification de l'Algérie plurielle et démocratique, avec des compagnons qui auraient respecté le serment premier, plutôt que de vouer et risquer sa vie à des postures exténuantes de refus. Hocine Aït Ahmed est un Mandela qui n'aura, certes, pas vu se réaliser ne serait-ce que le début de cet idéal pour lequel il a combattu. Et c'est assurément ce Mandela-là que les Algériens ont célébré et porté aux nues depuis l'annonce de son décès jusqu'à l'apothéose de ces funérailles historiques, hier, dans le petit hameau d'Ath Ahmed. L'attirail tout penaud déployé par les autorités officielles aux fins de rendre l'hommage dû à l'homme — la moindre des choses dans l'absolu, pour un Etat dont il a été l'un des principaux édificateurs — passe pour détail dans le formidable concert de témoignages de reconnaissance, de gratitude et d'admiration — œuvre unanime et nationale — qui ont fleuri depuis ce dernier souffle rendu dans la discrétion de l'exil suisse. Et le détail vite relégué aux marges de l'événement, s'épanche cette ferveur rarement (ou jamais) égalée et se réalise cette communion transversale qui souligne tout le besoin qu'ont les Algériens de réconcilier le politique avec les vrais leaders, l'idéal avec les symboles qui le portent et le militantisme avec les engagements authentiques et assumés. Même si l'heure était à l'affliction de perdre le père symbolique de l'opposition démocratique et le dernier des historiques, le moment s'est vite mué en celui de l'espoir de voir les énergies retrouvées et le fatalisme, qui a tétanisé des pans entiers de la société politique, dominé et dépassé. C'est à cette espérance qu'invite l'extraordinaire unisson qui a recomposé le pays autour de l'image de cet homme incarnant, comme personne, à la fois l'héroïsme et l'audace élégante de la lutte pour la libération et l'aspiration infatigable pour la démocratie. Ceux qui connaissent Aït Ahmed savent qu'en choisissant de se faire enterrer dans sa petite terre natale, l'homme n'a pas seulement fait un acte de résistance ultime en boudant le marbre figé du martyrologe officiel et les usages qu'on en fait, mais voulait aussi rassembler tous ceux qui n'arrivent plus à s'y reconnaître. Et la démonstration a été faite, hier à Ath Ahmed, que Si L'Hocine a réussi son dernier meeting et que le message est passé.