Hier, l'Algérie a fait des adieux grandioses à l'un de ses meilleurs enfants. Il y avait autant de fierté à le voir, pour son repos éternel, retrouver la terre qui l'a vu naître, que de regrets pour une carrière inachevée et des rêves inaboutis. Celui qui, la vingtaine à peine entamée, présida l'OS, prend désormais place dans la mémoire collective. La marée humaine qui s'est déversée, dès les premières heures de la matinée, sur le village d'Ath Ahmed, déjà célèbre et très fréquenté pour le mausolée du vénérable cheïkh Mohand Oulhocine, est l'expression de la forte émotion qui a étreint l'écrasante majorité des Algériens. Elle traduit d'abord la douleur vive de devoir se séparer, d'une manière définitive, d'un homme qui a pris une part active dans le façonnement de l'histoire contemporaine du pays. Au-delà de l'affliction et de l'hommage unanime émanant des quatre coins du pays et de tous les horizons politiques, Aït-Ahmed s'est révélé, aussi, un symbole d'attachement du peuple à une période. Elle était âpre, dure mais demeure la plus lumineuse du pays, sa source de ressourcement et son repère. Sur les lieux de l'enterrement, et le long de toutes les localités traversées par le cortège funèbre, le drapeau algérien a été déployé et des slogans liés aux sacrifices des martyrs scandés par des milliers de personnes. C'est aussi l'une des leçons à retenir de ces funérailles. Une grande partie des gens venus se recueillir sur la dépouille du dernier « historique » du 1er Novembre n'ont pas vécu cette période. Des plus jeunes connaissent peut-être peu l'itinéraire d'Aït-Ahmed, ses idées et ses écrits. Proscrit pour des raisons politiques comme d'autres, à l'instar de Krim Belkacem, Messali, Ferhat Abbas ou Ben Khedda, le temps a conduit à la revanche de la mémoire sur l'amnésie. Depuis quelques années, le pays s'est engagé dans la voie de la réconciliation qui a conduit également à la levée des interdits sur l'histoire, son déroulement et son écriture. Hocine Aït-Ahmed a été au cœur de beaucoup de rendez-vous historiques. Jeune et fringant diplomate à Bandung, à New York, au Caire, il défendit l'Algérie en lutte pour son émancipation. Il a participé ensuite activement aux luttes démocratiques de l'Algérie indépendante dont il a assumé une part de risques et d'épreuves. Pourtant, contrairement aux apparences et aux analyses hâtives ou intéressées, le leader politique, qui s'impliqua dans les luttes pour la démocratie et les droits de l'homme et l'instauration de la justice sociale, n'était pas dans un processus de rupture totale, encore moins de reniement avec ce qu'il a été. Il poursuivait, en fait, la même quête, fidèle aux idéaux qui ont nourri sa jeunesse militante et celle de ses compagnons. Avec l'hommage de l'Etat et de la population à cette grande figure de la révolution, ce sont ces nobles valeurs, dont ses compagnons, comme Mourad Didouche, Mustapha Ben Boulaïd, Mohamed Boudiaf sont porteurs, qui ont ressurgi. Cela traduit l'attachement à ces nobles principes qui peuvent se pervertir mais jamais s'oublier et se renier. La volonté de poursuivre une marche, dont Si El Hocine demeurera pour toujours un pionnier, a de nouveau rejailli.