L 'année qui commence s'annonce difficile pour les Algériens. Difficile pour les consommateurs appelés à se serrer la ceinture pour faire face aux augmentations des prix, difficile pour les opérateurs économiques qui auront à subir la hausse des coûts de production, et enfin difficile pour les pouvoirs publics qui seront soumis à l'épreuve de la gestion d'une situation socioéconomique de plus en plus délicate. «2016 sera l'année du déficit budgétaire et de la balance des paiements, de l'inflation, de la hausse du chômage et de la baisse sensible du pouvoir d'achat. L'économie algérienne sera mise à rude épreuve durant cet exercice». C'est ainsi que résume la situation Smaïl Lalmas, président de l'Association des exportateurs. Au premier plan, ce seront les salariés qui seront les plus touchés par l'augmentation des taxes et qui verront ainsi leur pouvoir d'achat dégringoler. Une option choisie par le gouvernement pour faire face à la fonte des recettes budgétaires. «Cette tentative est loin de pouvoir combler l'ampleur des déficits enregistrés», fera encore remarquer M. Lalmas. Cela dit, les nouvelles tarifications des taxes sont déjà en vigueur. Alors que la valeur du dinar est au plus bas, une nouvelle taxation (35%) sur l'acquisition des véhicules neufs est prévue. Une mesure à laquelle s'ajoutera le nouveau barème des tarifs des vignettes automobile (une hausse oscillant entre 16 et 40%) et également une révision à la hausse des vignettes de transport de voyageurs et des carburants. Ce qui veut dire que les déplacements coûteront plus cher en 2016. Autre changement : la fin de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à taux réduit sur certains produits et services. Le taux de TVA, actuellement établi à 7%, passera à 17% sur de nombreux produits et services. A titre illustratif, les utilisateurs de la 3G, de plus en plus nombreux en Algérie, devront débourser plus pour bénéficier d'un tel service. Aussi, la taxation des tabacs, alcools, produits cosmétiques et alimentaires importés sera augmentée. Les habitués à ce genre de produits seront donc affectés. Les importations de bananes et autres fruits exotiques qui débordaient durant la période faste sur les étals des marchés seront plus chers. Au rythme de toutes de hausses annoncées, le taux prévisionnel de 3% d'inflation annuelle prévu par le gouvernement dans la loi de finances 2016 semble impossible à respecter. «L'Algérie va connaître un taux record pour le premier semestre de 2016», avertissent d'ailleurs des experts. Du côté du monde des affaires, les craintes ne manquent pas également. «Nous sommes face à des textes. On ne sait pas ce qui va se passer», nous dira à ce sujet Boudjemaât Ifri, président du consortium agroalimentaire. «Est-ce que les coûts seront compétitifs ?» s'interroge-t-il. Et de poursuivre : «Les prix des intrants importés avec la dévaluation du dinar vont certainement augmenter. Idem pour les coûts de production en raison de la hausse des tarifs de l'énergie. Les travailleurs commencent déjà à demander des augmentations salariales». Ce qui se répercutera sans nul doute sur les prix. «On va essayer de réduire nos marges bénéficiaires de 5 à 7%. Mais, on ne peut pas aller au-delà. On ne peut pas maintenir les prix», nous dira-t-il encore notant qu'il y a risque de conflits en matière de comptabilité. «C'est en fait l'ensemble de la machine productive qui va bouger», résumera-t-il pour souligner la crainte des opérateurs économiques du secteur privé. L'occasion pour adopter une nouvelle conduite économique A un niveau plus élevé, du côté des décideurs qui auront à recourir au Fonds de régulation des recettes (FRR) pour combler le déficit, les choix ne sont pas également faciles à prendre en cette période de vaches maigres entamée avec une loi de finances décriée de part et d'autre. Faudrait-il pour autant prendre le côté positif des choses ? Pour Ahmed Mokaddem, économiste statisticien, l'on devrait s'attendre cette année à l'ouverture de plusieurs chantiers en vue de l'adoption de réformes profondes en matière de conduite et de développement économiques. «Il est clair que l'Algérie affronte et affrontera des contraintes importantes à cause de la baisse drastique des recettes en devises. Mais cette situation aura au moins un aspect positif». Lequel ? «C'est celui de contraindre les responsables à trouver des solutions efficaces pour se dégager de la dépendance quasi exclusive des revenus des hydrocarbures», répondra-t-il. Pour Ahmed Mokaddem, les chantiers, dont la LF 2016 n'est qu'une étape, concerneraient en priorité la mise en place d'une politique sociale comprenant une politique des revenus s'articulant autour d'une politique fiscale, l'instauration d'un revenu minimum, le ciblage des couches vulnérables, le financement pérenne en matière de sécurité sociale et de retraites. De même pour la mise en œuvre d'une politique économique axée sur le développement des capacités et ressources nationales, l'intégration économique intersectorielle et intrasectorielle, en vue d'une économie en grande partie autosuffisante, la maîtrise et l'intégration de la recherche scientifique et des nouvelles technologies à la société et à l'économie. Une stratégie en matière d'énergie avec l'adoption d'un mix énergétique avec, comme axe central, la sécurité énergé tique et le développement des énergies renouvelables est considérée par ailleurs parmi les étapes primordiales à franchir au même titre que l'adoption de la bonne gouvernance en matière de politique économique et sociale. Comment ? «Par la rationalisation en matière de conduite budgétaire, la prospective et la planification, l'extension de l'assiette fiscale par l'intégration des activités informelles et l'efficacité fiscale, la consécration de l'action de l'Etat dans son rôle régulateur, incitateur et pilote de l'économie loin de la bureaucratie, la consolidation de l'économie de marché, la mise à niveau de la sphère financière, la gestion productive et bénéficiaire du couple ‘‘endettement-placement''», expliquera M. Mokaddem. Des chantiers qui risquent de prendre du temps connaissant la lenteur de l'administration. Les changements sont à attendre pour les prochaines années. «Si nous commençons les changements structurels aujourd'hui, nous aurons les résultats dans 15-20 ans», nous disait récemment l'expert Mohamed Chérif Belmihoub. Mais si le pas des réformes n'est pas franchi, les difficultés ne feront que s'amonceler avec tous les risques qui pourraient se poser sur le plan social.