Les cadres de Sonatrach qui se retrouvent dans le box des accusés le disent à haute voix : «Je n'avais pas le pouvoir de dire non au ministre. Si je l'avais dit, on m'aurait désigné la sortie. Il avait même donné instruction par écrit de lui transmettre les noms des cadres refusant de s'exécuter.» Les révélations livrées par les accusés dans l'affaire Sonatrach 1, dont le procès se déroule au tribunal d'Alger depuis quelques jours, ne laissent aucun doute sur la responsabilité de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil. Rien ne se faisait sans lui, sans son aval, sans ses instructions écrites et verbales. Les cadres de Sonatrach qui se retrouvent dans le box des accusés le disent à haute voix : «Je n'avais pas le pouvoir de dire non au ministre. Si je l'avais dit, on m'aurait désigné la sortie. Il avait même donné instruction par écrit de lui transmettre les noms des cadres refusant de s'exécuter.» Les réponses de l'ex-vice-président de l'activité Amont, Belkacem Boumedienne, au juge qui l'interrogeait avant-hier ne souffrent d'aucune ambiguïté. Et de telles déclarations auraient au moins suscité l'intérêt de la justice de convoquer Chakib Khelil qui, au fil du procès de Sonatrach 1, est en train de devenir le personnage central d'un scandale de corruption qui n'a pas fini de livrer ses secrets. La lumière ne sera jamais faite et la vérité jamais dite, si celui-ci n'est pas entendu par les juges en charge du dossier. Mais pourquoi la justice évite de le convoquer ? Chakib Khelil qui a régné en maître sur le secteur de l'énergie onze ans durant, assurant même le poste de PDG de Sonatrach de 2001 à 2003, ne pouvait pas ne pas savoir ce qui se tramait au sein du groupe pétrolier. La justice va-t-elle continuer à préserver ce membre du clan présidentiel, proche collaborateur du président Abdelaziz Bouteflika et dont le nom a été même cité par la justice italienne dans ce qui est appelé affaire Sonatrach 2, dans laquelle le neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, Farid, présenté comme son homme de main, est impliqué ? Refuse-t-elle de franchir cette ligne rouge dessinée par le pouvoir après l'annulation pour un prétendu vice de forme du mandat d'arrêt international lancé en été 2013 par l'ex-procureur général près la cour d'Alger, Belkacem Zermati ? Si Chakib Khelil demeure toujours intouchable malgré les demandes insistantes de la défense des accusés dans l'affaire Sonatrach 1 et en dépit des révélations des cadres appelés à la barre par les juges du tribunal d'Alger, c'est qu'il y a vraiment des parties pourvues d'un pouvoir qui le protègent et arrivent à l'extraire des mains de la justice. L'ancien garde des Sceaux, Mohamed Charfi, en sait quelque chose pour avoir été démis de son poste de ministre. «N'est-ce pas, Si Amar, vous qui êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m'engageant à extirper Chakib Khelil de l'affaire Sonatrach 2 comme on extirpe un cheveu de la pâte», écrivait le ministre dans une tribune publiée par El Watan en février 2014. La non-convocation de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines n'a pas d'autre explication que celle qui se vérifie chaque jour : il est vraiment protégé par ceux qui détiennent aujourd'hui les clés du pouvoir en Algérie. Le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), Amar Saadani, l'a soigneusement expliqué, il y a presque un mois, sur une chaîne de télévision privée. Il affirmait à qui voulait l'entendre que Chakib Khelil est «innocent». «C'est, disait-il, le meilleur ministre de l'Algérie depuis l'indépendance.» Le patron de l'ex- parti unique qui est devenu le porte- parole du régime mis en place par le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, soutenait que l'ancien ministre de l'Energie a été «victime des rapports des colonels du DRS». A travers Khelil, on a donc voulu atteindre le Président, expliquait-il. Y a-t-il alors meilleure mise en garde que celle-ci, qui plus est venant de la part d'un Amar Saadani promu à un rôle de premier plan depuis son intronisation controversée à la tête du FLN. Chakib Khelil serait-il donc intouchable, puisqu'il est innocenté par le pourfendeur de l'ancien patron des Services du renseignement, le général Mohamed Mediène dit Toufik, démis de ses fonctions en septembre dernier ? Qui osera alors défier l'ogre ? L'aveu du magistrat qui a jugé l'affaire de l'autoroute Est-Ouest en dit long sur la situation de la justice en Algérie. «Ce n'est certainement pas moi, un petit juge, qui vais ramener un ministre en activité», asséna-t-il aux avocats qui réclamaient la présence au procès de Amar Ghoul. Ceux qui jugent aussi l'affaire Sonatrach 1 auraient même pu s'intéresser aux déclarations de Hassan Laribi, député du Parti de la justice et du développement de Abdallah Djaballah, qui a révélé, il y a quelques jours, que l'ex-chef du DRS, le général Toufik, lui a dit que ses «services ont découvert un compte bancaire appartenant à Chakib Khelil contenant plus de 190 millions de dollars». Mais il semble bien qu'on n'en est pas encore au temps où la justice fait son travail en toute indépendance, loin des influences et des pressions.