Le régime présidentialiste fort accordant des pouvoirs étendus au chef de l'Etat, tel qu'il a toujours existé en Algérie, a encore de beaux jours devant lui, en dépit des promesses de réformes politiques supposées profondes annoncées dans le cadre du projet de révision constitutionnelle. C'est ce qui ressort du contenu des propositions d'amendements constitutionnels révélé hier devant la presse par Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet à la présidence de la République. Toutes les spéculations ayant abondamment alimenté le débat politique autour de ce projet, à travers les relais politico-médiatiques du pouvoir sur l'ancrage civil de l'Etat et l'approfondissement de sa nature républicaine et démocratique n'ont pas eu d'écho dans la nouvelle mouture du projet de révision constitutionnelle présenté abusivement par le pouvoir comme un projet révolutionnaire. L'architecture de la structuration du pouvoir, qui fait du mandat présidentiel le centre de gravité des institutions de l'Etat, est reconduite dans le fond et dans le détail dans cette nouvelle mouture qui n'est qu'une pâle copie de la Constitution en vigueur en dehors de quelques amendements cosmétiques relevant de la politique politicienne, à l'instar de la constitutionnalisation de tamazight . Un Etat civil se définit d'abord dans le rapport qu'il entretient avec l'armée qui n'est en démocratie qu'un outil de défense du territoire contre les agressions extérieures alors que dans les Etats autocratiques, c'est la prééminence du pouvoir militaire sur le politique qui est consacrée. La notion de pouvoir réel ou de l'ombre qui colle à la peau de l'institution militaire peine à être démentie, aujourd'hui encore, en dépit des proclamations de foi sur le retour de l'armée à ses missions constitutionnelles contredites dans les faits par l'implication de manière directe ou à travers des messages codés de l'armée dans le champ politique. Le premier attribut d'un pouvoir civil c'est de rompre le cordon ombilical liant le pouvoir politique et l'armée autour d'enjeux de pouvoir partagés. Cela commence par le délestage de la fonction de ministre de la Défense assumée officiellement et organiquement ou bien de manière tacite par le président de la République pour la confier à qui de droit : à un ministre de la Défense — de préférence un civil — qui sera responsable de la gestion de son secteur — au plan technique — devant le gouvernement . En Algérie, et c'est le cas de tous les régimes non démocratiques, le statut de chef suprême des forces armées assumé par le chef de l'Etat et le refus de nommer un ministre de la Défense, voire de prévoir ce poste dans l'organigramme du gouvernement, sont autant de signes qui ne trompent pas quant à la volonté politique du pouvoir en place d'aller véritablement vers un pouvoir civil. Du coup, tout le tintamarre fait autour de la prétendue opération de restructuration des services de renseignement dévoile les dessous des cartes politiques du jeu de poker menteur engagé par le pouvoir pour reprendre la main, déstabiliser et neutraliser ses adversaires. Le président Bouteflika peut toujours rattraper ultérieurement cette fausse note en cédant sur cette question mais que l'on ne s'y méprenne pas ! Cela ne changera rien à la nature du pouvoir. Mais il lui sera difficile, en revanche, de convaincre l'opinion quant aux autres engagements pris dans le cadre des réformes politiques annoncées dans son projet de révision constitutionnelle. Les amendements proposés sont un parfait concentré de contradictions. Le principe de l'indépendance de la justice y est consacré, mais paradoxalement, le président du Conseil supérieur de la magistrature n'est autre que le président de la République, qui est le premier magistrat du pays. Même les soutiens les plus zélés de Bouteflika, à l'instar du patron du Fln, Amar Saadani, auront du mal à se reconnaître et à adhérer aux changements constitutionnels introduits. Lui qui revendiquait de droit et de juré le poste de Premier ministre pour le Fln en tant que «parti majoritaire» est assuré d'une seule chose : d'être consulté par le Président, mais pas forcément d'obtenir le poste comme il le réclame à cor et à cri.