L'Arabie Saoudite a rompu ses relations diplomatiques avec l'Iran en début de semaine, marquant l'apogée d'une crise latente. Si beaucoup de pays de la région ont vite fait de choisir leur camp, l'Algérie préfère afficher une position consensuelle. Appel «à la retenue» et à la sagesse islamique des Saoudiens et des Iraniens, la position de l'Algérie sur la nouvelle crise Téhéran et Riyadh fait montre d'une volonté de ne contrarier aucune des deux puissances régionales. Pourtant, selon David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et rédacteur en chef de la revue scientifique Orients Stratégiques, «il semblerait que la position circonspecte d'Alger suite à cette crise ait provoqué une certaine irritation à Riyadh». La neutralité algérienne dans une relation bilatérale à laquelle elle n'est pas partie prenante ne pourrait souffrir d'aucune contestation officielle. Dans les faits, les intérêts d'Alger et de Téhéran sont similaires à bien des égards, si bien qu'aux Annassers il serait impensable de remettre en cause une alliance longue de plusieurs décennies. «L'Algérie et l'Iran sont deux Etats tenant à leur caractère républicain, une culture sociopolitique créant une proximité entre les deux pays. De plus, Téhéran et Alger s'illustrent par une recherche permanente d'indépendance internationale et apprécient mutuellement l'une chez l'autre cet aspect de leur diplomatie respective», estime Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l'Iran. Une analyse corroborée par Rigoulet-Roze pour qui la politique extérieure algérienne est «appréciée des Iraniens car elle s'est toujours illustrée par son discours souverainiste». Et d'ajouter : «du côté algérien, il est aussi probable que ce positionnement en faveur de Téhéran répond à la proximité entre les monarchies marocaine et saoudienne dans une logique inversement proportionnelle.» Damas Pendant que la crise entre l'Iran et l'Arabie Saoudite s'aggravait, Alger n'est pas restée sans se positionner. Lorsque l'Arabie Saoudite a impulsé la création d'une force arabe conjointe pour combattre au Yémen, l'Algérie a décliné l'offre en critiquant dans un langage à peine voilé ce qu'elle considérait être une ingérence saoudienne dans les affaires yéménites. De même, le mois dernier, Alger refusait de faire partie d'une coalition islamique de lutte contre le terrorisme menée par l'Arabie Saoudite, toujours à la faveur des sacro-saints principes de non-ingérence et de résolution politique des conflits, ce dernier étant «largement partagé par l'Iran, surtout en Syrie», note Bernard Hourcade. Et de poursuivre : «Les Iraniens ont accueilli la médiation de Lakhdar Brahimi de manière très positive et étaient prêts à coopérer totalement avec lui, lui qui défendait une solution exclusivement politique». Le dossier syrien reste la question prioritaire pour la diplomatie iranienne en ce sens que si «Damas tombe entre les mains d'un pouvoir pro-Riyadh, le risque que cette tendance se propage à Baghdad deviendrait réel», analyse Hourcade, et avoir un pouvoir téléguidé par les Saoudiens aux frontières iraniennes est impensable pour Téhéran. Par ailleurs, bien que restée discrète sur la question syrienne, il ne fait pas de doute que la diplomatie algérienne aimerait s'illustrer en apportant son expertise à l'édification de la paix dans le pays. Face aux déboires des uns et au manque d'impartialité des autres, «l'Algérie apparaît comme l'un des seuls pays de la région MENA à pouvoir s'impliquer neutralement sur la Syrie, si bien qu'il est possible de voir un nouvel Accord d'Alger portant sur ce conflit», selon ce spécialiste de l'Iran. Baril Néanmoins, au-delà de la proximité sociopolitique et idéologique entre Alger et Téhéran, l'enjeu stratégique majeur de cette alliance se trouve sur les marchés pétroliers. En effet, «l'Arabie Saoudite s'est lancée dans une politique baissière pour servir ses intérêts géopolitiques, en particulier perturber le marché russe et amener Moscou à renoncer à sa position pro-Damas». Membre fort de l'OPEP, Riyadh s'oppose depuis un an à une réduction de la production qui permettrait une remontée des prix du baril. Et pour cause, en tant que grand producteur, l'Arabie Saoudite estime qu'elle peut supporter les effets d'un tel prix pendant plusieurs années, même si le récent déficit de 98 milliards de dollars, un record en la matière, pourrait l'amener à réviser sa position. En face, si la production iranienne est comparable à celle de l'Arabie Saoudite, elle a dû supporter des prix réduits des années durant en raison des différents embargos qui pesaient sur l'économie iranienne qui, désormais, ne peut plus survivre à un niveau aussi bas. L'accord nucléaire prévoit la levée des sanctions contre le pétrole iranien, et pour maximiser le profit de cette conjoncture il est vital pour Téhéran que les prix du pétrole retrouvent un niveau «plutôt aux alentours de 60 dollars», estime Bernard Hourcade. L'Algérie, de par son niveau de production modéré, a pour intérêt vital de plaider pour une politique du prix, laquelle est soutenue par Téhéran. «L'Iran et l'Arabie Saoudite sont les deux puissances émergentes réelles dans la région», poursuit Hourcade, si bien que seul l'un peut amener l'autre à capituler. Parce qu'il est vital pour l'Algérie de continuer à financer les transferts sociaux, garants de la stabilité sociale, le soutien à Téhéran est vital. Mais parce que s'opposer frontalement à Riyadh risquerait d'empêcher l'accès des Algériens aux Lieux Saints contrôlés par l'Arabie Saoudite, Alger n'a d'autre choix que de s'adonner à un périlleux jeu d'équilibriste.