Les manifestants à Téhéran face à l'ambassade d'Arabie saoudite Ressentie comme une brutale provocation par le peuple iranien, ainsi que par les groupes chiites au Liban, au Bahreïn, au Yémen, en Arabie saoudite, cette exécution a été violemment condamnée à Kerbala, la ville sainte chiite en Irak. La colère des chiites n'est pas retombée; en Iran et en Irak, plusieurs jours après l'exécution du dignitaire chiite saoudien Nimr Baqer al Nimr. Hier, plus d'un millier de personnes ont bravé l'interdiction du gouvernement dans deux quartiers de Téhéran pour manifester à proximité de l'ambassade de l'Arabie saoudite. Les autorités avaient d'ailleurs instauré un dispositif sécuritaire impressionnant au lendemain de l'attaque surprise lancée contre ce bâtiment qui a été incendié. Les forces antiémeute ont empêché les manifestants de s'approcher de la représentation diplomatique saoudienne mais les slogans tels que «mort à al-Saoud», du nom de la famille régnante saoudienne, et des drapeaux américains et israéliens brûlés ont illustré l'ampleur de la réaction de la rue, sachant que plusieurs autres rassemblements ont eu lieu, aussi bien dans la capitale que dans d'autres villes iraniennes. Onde de choc L'exécution de cheikh Nimr a généré une onde de choc partout en Iran au point que le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, a affirmé que les dirigeants saoudiens devaient s'attendre à la vengeance «divine». De son côté, le président Hassan Rohani, qui a condamné cette exécution, a considéré ces réactions comme «totalement injustifiables», s'employant à tenter de maîtriser la situation en passe de déraper à tout moment... Réagissant aux instructions de M.Rohani qui a instruit le»ministre de l'Intérieur de travailler avec le pouvoir judiciaire et le ministre des Renseignements d' identifier les agresseurs et de les déférer à la justice pour qu'il soit mis fin à ces actions hideuses et que la sécurité des représentations diplomatiques soit assurée», le procureur de Téhéran a ordonné l'arrestation de 40 personnes en lien avec l'attaque à Téhéran et quatre autres avec celle du consulat saoudien à Machhad. La mise en garde saoudienne, au lendemain de l'attaque contre sa représentation diplomatique, a été d'autant plus mal accueillie que la colère a envahi les rues iraniennes, mais aussi celles irakiennes, libanaise, bahreïnie et yéménite où vivent d'importantes communautés chiites. Ce regain de tensions intervient au moment où les puissances engagées dans la lutte contre Daesh cherchent activement à sceller une alliance entre les pays membres de l'alliance internationale (pays occidentaux et arabes du Golfe) et la Russie, alliée de la Syrie et de l'Iran. Situation qui ne peut qu'engendrer l'inquiétude de l'ONU, des Etats-Unis et de l'Union européenne (UE) qui redoutent un embrasement de la région entre les sunnites et les chiites. Cheikh Nimr, âgé de 56 ans, a été décapité samedi, avec 46 autres personnes, dont un Tchadien et un Egyptien, condamnées pour «terrorisme» et dont la plupart avaient des liens avec Al Qaîda, selon les autorités saoudiennes. L'ayatollah Khamenei a souhaité publiquement que «le sang de ce martyr, versé injustement, portera ses fruits et 'la main divine le vengera des dirigeants saoudiens''», a-t-il ajouté devant de nombreux fidèles. Ressentie comme une brutale provocation par le peuple iranien, ainsi que par les groupes chiites au Liban, au Bahreïn, au Yémen, en Arabie saoudite, cette exécution a été violemment condamnée à Kerbala, la ville sainte chiite en Irak où l'ayatollah Ali al Sistani a évoqué «le versement d'un sang noble». Facteur inattendu de déstabilisation de la région, cet acte que les dirigeants saoudiens qualifient de «banal et légal», au terme de la chariaâ, intervient quelques jours après l'annonce de la mise en place d'une coalition arabe et islamique contre le terrorisme, même si bon nombre de pays inscrits d'office dans la liste ont exprimé leur étonnement, comme par exemple le Pakistan et l'Indonésie. Faisant suite à la tentative de mobiliser tous les pays membres de la Ligue arabe, l'Algérie ayant clairement signifié son refus de dépêcher ses troupes hors des frontières nationales et qui plus est sous un commandement étranger, l'Arabie saoudite a élargi son plan à la dimension de l'OCI, sans même prendre le soin de consulter au préalable les Etats membres. Empêtré dans l'aventure yéménite qui semblait devoir n'être qu'une ballade sans conséquences, le régime saoudien paraît succomber à une véritable paranoïa depuis que l'Irak a basculé dans le carcan chiite et que la Syrie de Bachar al Assad continue de résister vaillamment à toutes les frappes et toutes les tentatives de sape Surtout, le règlement de la question du nucléaire iranien, assorti d'un retour de ce pays sur le marché pétrolier dont les Saoudiens se sont crus les maîtres absolus au point de brader leur production et de faire chuter les prix à un niveau catastrophique, est en train de changer la donne au Proche-Orient. L'angoisse des dirigeants saoudiens Lentement mais sûrement, de sorte que les dirigeants saoudiens ont une angoisse à la mesure de leur arrogance et qu'ils n'excluent plus, désormais, la provocation d'un conflit direct avec l'Iran, avec l'espoir d'y entraîner leurs puissants alliés occidentaux et Israël... Jeudi dernier, le ministre des Affaires étrangères du Royaume d'Arabie saoudite, Adel Ben Ahmed Joubeir, est arrivé à Alger, dans le cadre de la tenue de la 3e session du Comité de consultations politiques algéro-saoudien. Il a déclaré, aussitôt, souhaiter des entretiens «fructueux et constructifs». Les multiples sollicitations de l'Algérie, hors et intra Opep, pour tenter de juguler l'effondrement des prix du pétrole ont reçu un tiède et peu protocolaire refus des Saoudiens, qui ont toujours traité avec condescendance leurs partenaires aussi bien de l'Opep que de la Ligue arabe. Le fait que l'Algérie n'ait pas cédé à la convocation d'une soi-disant armée de la Ligue arabe, qu'elle ait inlassablement affirmé le droit de la Syrie à défendre sa souveraineté et l'intégrité de son territoire, qu'elle ait condamné, à plusieurs reprises, les agressions militaires contre des Etats souverains, occasionnant les dégâts que l'on connaît en Irak, en Syrie et en Libye, tout cela fait que les relations entre Alger et Riyadh sont pour le moins distendues.D'ailleurs, la traditionnelle audience que le chef de l'Etat accorde à tout ministre en visite dans notre pays a été occultée pour le visiteur saoudien, venu porteur d'un message auquel on aura accordé un intérêt poli. Au-delà du Moyen-Orient, l'exécution du cheikh Nimr préoccupe les Etats-Unis qui disent l'urgence d'apaiser les «tensions communautaires» alors que Ban Ki-moon, a appelé «au calme et à la modération». Un calme et une modération qui risquent fort de n'être entendus ni à Riyadh ni à Téhéran.