Le président américain Barack Obama a réitéré qu'il n'écartait aucune option quant à la solution à apporter à la situation en Irak. Il a d'ores et déjà exclu d'envoyer des troupes au sol alors que les djihadistes sunnites continuent de s'approcher de Baghdad. Les djihadistes du groupe de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ne cesse de se rapprocher de la capitale, Baghdad, cœur du pouvoir central irakien. Mercredi, en début de matinée, les insurgés sunnites ont attaqué la plus grande raffinerie du pays, située à un peu plus de 100 km de la capitale, ce qui fait craindre le pire à une armée «peu expérimentée et qui présente encore des difficultés à lutter contre le terrorisme», comme l'analyse Feurat Alani, journaliste franco-irakien et spécialiste de l'Irak. Face à cette situation, les Etats-Unis n'excluent pas une intervention - directe ou indirecte- en Irak, onze ans seulement après une guerre qui visait la démocratisation du pays, avec l'assentiment du Premier ministre chiite Nouri Al Maliki qui a demandé officiellement aux Américains de «mener des raids aériens contre les terroristes de l'EIIL». «A l'heure actuelle, le Président observe toutes les options qui se présentent à lui», a ainsi déclaré John Kerry, chef de la diplomatie américaine avant d'ajouter que l'envoi de troupes au sol n'était pas une solution envisageable. En effet, l'intervention des troupes américaines qui s'est achevée en 2011, n'est pas étrangère à la situation qui prévaut actuellement en Irak. Pour Nabil Ennasri, doctorant et spécialiste du monde arabe, «la responsabilité de l'intervention américaine est écrasante, elle a été un facteur d'aggravation de tensions préexistantes». En menant leur opération de démocratisation du «Grand Moyen-Orient», les Américains «ont précipité le pouvoir entre les mains des chiites». Pour David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et expert dans les affaires du Moyen-Orient, «les Etats-Unis ont radicalement modifié l'équilibre ethno-confessionnel régional». Confessionnalisation Et de poursuivre : «Les radiations de la bombe atomique lancée par l'administration Bush en 2003 continuent de se faire sentir», la situation actuelle en étant le rayonnement radioactif le plus fort jusqu'à présent. Lorsque les Américains débarquent en Irak pour renverser le régime de Saddam Hussein, «ils ont procédé à un démantèlement de l'armée irakienne et de ses hauts dirigeants, et ce, sans faire la différence entre les émissaires politiques de Saddam Hussein en son sein, et des membres plus neutres mais tout aussi expérimentés», selon Feurat Alani. Cela a été la première marginalisation de la communauté sunnite de la vie de l'Etat, l'armée étant à majorité sunnite à l'époque de Hussein. Cette politique a été poursuivie par Nouri Al Maliki lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 2006. La même année, «le général Petraeus avait fondé une milice sunnite mais le gouvernement Al Maliki avait manifesté ses réticences à intégrer ces combattants dans l'armée régulière irakienne, au motif plus ou moins fallacieux de contraintes budgétaires», rappelle David Rigoulet-Roze. La confessionnalisation qu'avait initiée l'Administration étasunienne, le gouvernement chiite d'Al-Maliki l'a poursuivie et intensifiée, menant à une radicalisation sunnite qu'incarne l'EIIL et ses insurgés. «Le départ des Américains a livré l'Irak à majorité chiite largement sous contrôle iranien. La minorité sunnite, marginalisée et retranchée dans une partie du pays, s'est alors radicalisée, d'où l'émergence puis l'essor de l'EIIL.» D'ailleurs, lorsque l'armée irakienne a du battre en retraite du nord du pays, parce que largement dominée par l'EIIL, Al Maliki avait appelé à défendre Bagdad, porte d'accès au sud du pays, à majorité chiite. Basculement géopolitique Ainsi, hier, le général Petraeus a avertit que l'aviation américaine ne doit pas devenir «une force aérienne pour milices chiites» et «que cette aide doit être accordé à un gouvernement qui représente toutes les composantes de l'Irak», ce qui n'est pas le cas pour l'heure Plus encore, le gouvernement iranien a affirmé qu'«il ferait tout» pour protéger les Lieux saints chiite en Irak. Sa volonté d'ingérence en Irak et l'option des raids aériens pour maintenir Al Maliki au pouvoir font de Téhéran et Washington des alliés potentiels, ce qui apparaît comme insolite au regard des relations habituellement houleuses entre les deux diplomaties. D. Rigoulet-Roze remarque «un rapprochement lent mais sans doute profond car fondé sur des intérêts stratégiques de plus en plus convergents» alors que Nabil Ennasri y voit la possibilité «d'un basculement géopolitique majeur», si une telle alliance devait voir le jour. Le président Obama a annoncé que les Etats-Unis ne seraient pas impliqués dans «une opération militaire en Irak», mais a décidé d'envoyer «300 conseillers militaires», ce qui n'exclut pas une action par proxy utilisant l'Iran comme bras armé. Une telle configuration représenterait «le revers d'un lien historique fort entre Saoudiens et Américains» comme le note N. Ennasri, mais aussi le danger de rompre une alliance stratégique avec l'entité sioniste. Des risques géopolitiques importants pour une alliance dont l'issue pourrait être un second échec en Irak, onze ans après le premier.