D'où vient votre intérêt pour la traduction ? Mon expérience de traduction et d'écriture découle d'un projet culturel qui est celui d'enrichir la culture algérienne. J'ai donc traduit un recueil de poèmes de la syrienne Maram al Masri de l'arabe au tamazight. On a ensuite traduit mon roman Salas d Nuja vers l'arabe dans le cadre d'un doctorat à Tizi Ouzou. Avec ma maison d'édition (Tira), on a sorti une traduction en tamazight d'un roman d'Hemingway, mais aussi des titres de la série Harlequin. Nous sommes également en train de traduire de l'arabe un roman d'Amara Lakhous… La traduction participe d'une dynamique d'ouverture. Nous considérons qu'une langue a besoin de s'ouvrir et de se nourrir des autres cultures. Une langue enclavée est une langue vouée à la faiblesse éternelle. Les représentations politiques liées aux langues n'entravent-elles pas cette ouverture ? A un moment, il y avait compétition entre le français et l'arabe. Les francophones ont mis en avant le tamazight pour se différencier de l'arabe. La majorité des militants berbéristes étaient francophones. Avec le temps, on essaie de dépasser cette relation conflictuelle. C'est en ce sens que nous privilégions la traduction entre tamazight et l'arabe. C'est par la traduction qu'on peut dépasser les malentendus, recréer un climat d'apaisement et se reconstruire ensemble. Il faut arriver à une politique nationale des langues qui soit authentiquement algérienne. J'ai été militant politique, et je le reste, mais j'ai donné à mon engagement politique un prolongement culturel concret. Je suis intimement convaincu que tamazight doit être reconnue comme langue officielle au même titre que l'arabe. Ce statut suppose de mettre en œuvre tous les moyens de l'Etat pour son développement. Les institutions, et plus précisément le ministère de la culture, doivent développer un centre de traduction permanent entre les langues pratiquées en Algérie. C'est le même Algérien qui s'exprime dans des langues différentes. Il faut arriver à avancer ensemble sans se neutraliser. Avez-vous reçu des soutiens dans cette démarche ? La culture doit être soutenue par l'Etat. La langue amazighe n'est pas encore officielle. Elle n'est pas obligatoire à l'école (contrairement à l'arabe et au français). Avec la généralisation de l'enseignement, on gagnera des lecteurs. L'école est la première fabrique de lectorat. On ne peut pas parler de traduction s'il n'y a pas de lecteurs. Le passage de tamazight à l'écrit est passé de la transcription à la création. Et de la création, nous passons à la traduction. Maintenant, l'Etat doit faire plus pour la promotion de cette dimension de notre culture. Les médias également doivent se tourner vers la création algérienne. Aujourd'hui, il y a un consensus pour la reconnaissance de tamazight mais quand on parle de littérature algérienne on évoque celle écrite en français et en arabe mais rarement celle écrite en tamazight. Cette langue n'est pas intégrée, même dans la pensée de l'intellectuel algérien. Pourtant, il existe une production plus qu'importante. Outre la poésie classique de Si Muhand et d'autres poètes anciens, la nouvelle poésie existe aussi avec Amar Mezdad, Salem Zenia, etc. La poésie amazighe et le combat pour la reconnaissance de la culture présentent un souffle d'espoir pour toutes les langues de la diversité méditerranéenne. Par exemple, mes poèmes ont été traduits et publiés dans une revue de langue occitane. Les langues régionales en Italie ou en France s'intéressent à notre dynamique. Nous proposons une vision de l'humanité qui diffère de l'angle jacobin, celui des langues impériales. Nous sommes les représentants de langues «faibles», par le statut, mais qui portent toute la richesse de l'humanité. (Entretien réalisé avant l'annonce du projet constitutionnel d'officialisation de la langue amazighe).