Ancien ambassadeur de France à Alger, actuellement inspecteur général au Quai d'Orsay, il prend sa plume, dans un exercice inédit, pour raconter - avec trois autres - la France d'aujourd'hui. Quatre nuances de France est un livre original tant dans la démarche que par ses auteurs. A travers ce livre, c'est une nouvelle France qui se décline... Effectivement, c'est, pour ce qui concerne les auteurs, comme nous le disons, une «rencontre improbable» entre quatre personnes que rien ou pas grand-chose ne prédisposait à se rencontrer et encore moins à discuter ensemble de sujets graves et importants : un journaliste célèbre, né en Algérie, Rachid Arhab, un Français binational, issu de banlieue, Karim, produit de ce qu'on appelle la méritocratie républicaine, un Algérien, sans-papiers pendant 12 ans, Nacer, et moi-même, haut fonctionnaire français, pur produit de la bourgeoisie parisienne. Mais vous voyez, ce type de rencontre peut encore se produire en France en 2015, malgré les tensions, malgré la crise, malgré les difficultés que connaît le pays. Il faut le vouloir, écouter les autres, aller à leur rencontre et sortir chacun de son environnement quotidien. Quant à la démarche, pendant un an nous avons à quatre effectué une sorte de «voyage en France», voyage au cœur de préoccupations actuelles de la société française : l'immigration, l'intégration, les banlieues, l'islam et la religion, la laïcité. Un haut fonctionnaire (diplomate) en exercice, un journaliste, un «sans-papiers» et un Français d'«origine» réunis pour un livre - un exercice inédit - c'est une France qui se parle, qui dialogue... On peut le dire, ce sont des Français, des citoyens qui dialoguent et s'écoutent. J'ai eu l'idée de cet échange il y a un an, d'abord avec Karim, le jeune binational franco-algérien car j'avais été frappé par son engagement politique sincère et sa foi religieuse qu'il veillait à garder pour lui. Puis, je me suis dit que Nacer, autre face de l'immigration algérienne en France, sans-papiers, pouvait se joindre à nous, car c'est une vie qui existe en France. Ensuite, j'ai demandé à Rachid Arhab, que l'on ne présente plus, s'il pouvait me conseiller «techniquement» pour la rédaction de cet ouvrage. Et voilà que Rachid s'est pris au jeu et est devenu, sans le vouloir, le quatrième auteur car il a été «bluffé» et «pris» par la qualité et la sincérité des échanges. C'est donc une France qui dialogue, quatre visions de l'identité du pays, quatre nuances aussi : chacun a su affirmer ses valeurs et ses croyances, chacun a écouté l'autre et respecté ses différences. Le livre aborde de front des questions clivantes comme la religion, la laïcité, les identités et l'immigration. Par sa tonalité, votre livre n'est-il pas à contre-courant des crispations nées essentiellement des récents événements qui ont frappé la France ? Les questions abordées sont celles dont on ne cesse de parler aujourd'hui en France : la religion, la laïcité, l'identité, l'immigration. L'originalité est d'en parler sereinement à quatre, malgré notre rapport différent à la nationalité ; je rappelle que Rachid Arhab est né français en 1955 à Fort National, devenu algérien et réintégré dans la nationalité française en 1992 ; Karim est binational, né en France ; Nacer est Algérien sans-papiers ; moi, Français de Brie et Picardie par mes parents. Nous avons aussi chacun un rapport différent à la religion ; je dirais que Rachid est agnostique, Karim musulman pratiquant, Nacer assez peu religieux, et moi-même catholique pratiquant. quatre rapports différents avec la politique (Karim est fortement engagé à gauche ; moi, j'ai travaillé avec Alain Juppé) ; quatre positionnements dans la société complètement différents : qu'y a-t-il de plus éloigné sans doute qu'un ambassadeur et un sans-papiers ? Enfin, Rachid et moi appartenons par nos carrières et notre statut social aux élites de ce pays, Karim et Nacer n'ont pas - aujourd'hui en tout cas - cette même dimension. Je souhaite que demain, dans 20 ou 30 ans, Karim comme Nacer aient ce geste de dialogue avec d'autres à leur tour et que dans le fond ils appartiendraient aussi à l'élite de la société. De ce fait, nos échanges, s'ils sont à contre-courant des crispations actuelles françaises, peuvent peut-être servir d'exemples ou de références. Le livre, s'il traite de la France, renvoie souvent à l'Algérie avec des regards lucides et aussi «durs», comme le souligne votre co-auteur Nacer. Les deux pays se chevauchent-ils à ce point ? Oui, vous avez raison, l'Algérie est «en fond de tableau» dans ce livre. Nous pensions l'appeler Quatre nuances de France, quatre passions d'Algérie, et finalement l'éditeur nous a plutôt convaincu de nous en tenir au premier volet seulement. Mais nous avons chacun un lien avec l'Algérie, le mien, assez professionnel, mais vous le savez, plein d'amitié et d'empathie pour l'Algérie et les Algériens ; Karim voit l'Algérie de loin, pendant ses vacances, c'est un pays assez éloigné pour lui, même s'il est attaché à ses racines et à sa culture. Rachid Arhab a un rapport essentiellement familial avec l'Algérie. Celui qui, finalement, a le rapport le plus complexe avec l'Algérie, c'est Nacer, le sans-papiers qui aime son pays de naissance mais l'a fui pour de multiples raisons qu'il explique. D'où un rapport difficile et tendu. Donc, les deux pays sont, surtout pour mes trois amis, en permanence derrière eux. On retrouve aussi les plumes de deux personnages politiques importants, Jean-Pierre Chevènement et Jean-Louis Debré. C'est une réaffirmation de la République ? Tout à fait. Jean-Louis Debré, par ses fonctions actuelles et son passé politique, mais aussi son attachement à l'Algérie, est une voix respectée et forte en France. Quant à Jean Pierre Chevènement, son attachement à la République, son attachement charnel à l'Algérie en font aujourd'hui un Républicain autant respecté et dont on attend les prises de position. Ce sont deux hommes d'Etat pour lesquels j'ai personnellement une très grande admiration qui ont accepté de préfacer ce livre. Je les en remercie du fond du cœur.