Dès l'ouverture de l'audience de jeudi dernier, le juge rappelle à la barre Chawki Rahal, vice- président de l'activité comercialisation. Il commence par les offres commerciales de la consultation restreinte pour la construction du bâtiment de Ghermoul, à Alger. Les offres sont celles des sociétés américaine Berry et allemande Imtech. «J'ai eu l'autorisation écrite du ministre et du PDG, pour l'ouverture des plis relatifs aux offres commerciales. La commission a déclaré Imtech attributaire de ce marché, parce qu'elle était la moins-disante», dit-il. Selon lui, le montant était important, 73 millions d'euros, soit près de 7 milliards de dinars, raison pour laquelle il a demandé une estimation du projet avant de signer le contrat. Le maître d'ouvrage a fait des observations, mais, souligne-t-il, il voulait approfondir l'évaluation : «Nous avons pris attache avec la société espagnole OHL, qui réalisait le Centre de conférences d'Oran, pour nous faire une première estimation. Elle a avancé un montant d'une différence de 3 millions d'euros par rapport au prix de Imtech. Lorsqu'elle a été présentée au comité exécutif, nous avons remarqué que le canevas utilisé ne pouvait pas donner des résultats fiables. Le ministre a été saisi par courrier comportant tous les détails de la comparaison. Il répond en nous disant : Imtech a été attributaire du marché, il ne vous reste qu'à négocier 12% de rabais. Le PDG a recu une lettre officielle d'OHL, qui disait qu'elle a utilisé des informations d'un immeuble réalisé à Madrid. Ce qui confirme la différence de prix. Il nous restait une semaine avant le délai de la signature. Nous avons entamé les négociations avec Imtech.» Interrogé sur les dispositions de la R15, l'accusé est formel : cette procédure, explique-t-il, interdit la négociation, dans ce cas de figure, ajoutant plus loin avoir réduit le prix à 64 millions d'euros. «Nous avions obtenu l'accord pour signer le contrat. Mais comme le montant dépasse le seuil de ma signature, le ministre m'a donné une délégation.» Le juge : «Ne trouvez-vous pas le prix un peu exagéré ?» L'accusé : «Le cahier des charges avait prévu des produits haut de gamme. Raison pour laquelle, nous avions trouvé l'estimation très crédible. J'ai signé le 28 juillet 2009, dès que la délégation de signature m'a été accordée…» L'accusé revient sur cette journée du 28 juillet 2009. «J'étais PDG par intérim. Il y a eu un grave incendie à Arzew, dans un institut de formation de Sonatrach, qui a fait des morts. Je me suis déplacé sur les lieux. Le directeur de la sécurité interne m'appelle par téléphone. Il m'annonce que des agents de la sécurité veulent me rencontrer. J'ai expliqué que je ne pouvais rentrer sur Alger vu la gravité de l'incident et de prévoir un rendez-vous dans mon bureau dans deux jours. C'était un samedi. Ils sont venus. Ils m'ont demandé de les suivre jusqu'au siège de la police judiciaire où ils m'ont posé des questions sur le projet de Ghermoul.» Le juge : «Ils ne vous ont pas dicté des choses ?» L'accusé : «Je ne peux dire ni oui ni non à cause de la langue. Je parlais en français et eux écrivaient en arabe. J'ai lu le PV, mais je ne sais pas s'ils ont bien interprété mes propos.» Le juge lui fait savoir que les déclarations contenues dans les PV sont identiques à celles qu'il vient de faire à l'audience. «Vous dites que le contrat est légal, pourqoi l'avoir suspendu dès que la police judiciaire vous a convoqué ? » demande le magistrat. L'accusé : «En fait dès que j'ai été entendu par le DRS, le PDG m'a saisi par écrit, le jour même, pour me demander la suspension du contrat, sans me donner les raisons. C'est à lui, qu'il faut poser la question.» Le juge : «Et l'ODS qu'est-il advenu ? » L'accusé : «J'ai appelé Mouloud Aït El Hocine qui était toujours l'intérimaire de Benabbes, le président de la commission technique, pour lui dire de le suspendre. Les agents du DRS m'ont convoqué quatre fois pour le même projet. Ils m'ont demandé brutalement, lors de la deuxième audition, s'il y a eu résiliation ou non du contrat. Je leur ai expliqué qu'après les offres commerciales, la loi n'autorise pas la résiliation. J'ai précisé que cette demande est exceptionnelle. C'était trop pour moi. J'ai saisi par mail le PDG et le ministre les informant de la situation et en leur disant que je ne voulais plus de ce siège et qu'il fallalit trouver une solution. Je subissais trop de pression et je n'avais aucune réponse. J'ai écrit une lettre officielle au ministre lui demandant d'annuler le contrat. C'était au mois de novembre 2009. Il m'a envoyé son accord, qui m'a permis de faire un courrier à Imtech, avec l'aide du service juridique et du maître de l'ouvrage, pour lui annoncer la décision. Imtech a accepté le fait sans problème.» Le juge appelle à la barre Mohamed Senhadji, ex-vice-président des activités centrales, poursuivi pour le délit de «participation à passation de contrat en violation avec la réglementation pour octroyer d'indus avantages à autrui». Il explique qu'en décembre 2007, alors qu'il était directeur des activités centrales, le ministre de l'Energie le contacte pour l'informer qu'un ministère voulait prendre le siège de Ghermoul. Il lui a demandé d'occuper les lieux et de vite entamer les travaux de réféction. Pour lui, tout a été fait au niveau de la base, qui lui a proposé deux bureaux d'études CAD et CTC, précisant n'avoir jamais entendu parler de l'appel d'offres. «Vous êtes le responsable de cette base...», lui lance le juge. L'accusé : «Leur responsable c'est le directeur de la gestion du siège, Abdelaziz Abdelwahab. J'ai juste signé le contrat…» «Le siège devait être à la hauteur du rang de Sonatrach» L'accusé est formel. «C'est la direction du siège qui a arrêté le montant», dit-il en insistant sur le fait que le ministère des Transports voulait accaparer le siège, et une lettre dans ce sens a été transmise au ministre de l'Energie, par le Premier ministre. Sur la question de «l'urgence » qui a précipité le gré à gré, l'accusé déclare : «Mon souci était de préserver les biens de l'entreprise. Si nous avions lancé un appel d'offres, nous aurions attendu plus d'une année.» A propos des autres contrats de gré à gré attribués à CAD, il affirme qu'il s'agit d'une régularisation des contrats de BRC, après sa dissolution. «C'étaient des gré à gré forcés. Parmi eux, il y avait ceux de CAD», souligne-t-il. Le juge : «Vous aviez déclaré être convaincu que Hemch était derrière les contrats.» L'accusé : «Pas dans ce sens. J'ai dit que le juge m'a posé des questions sur Meliani, que je connaissais sous le nom Mme Mihoubi, qui m'a été présentée par Réda Hemch. Le juge m'a révélé qu'elle aurait dit avoir été aidée par Hemch. J'ai répondu si elle le dit, c'est que c'est vrai.» Le juge lui fait savoir qu'il vient de changer sa version des faits. «Vous avez été entendu en tant que témoin. Pourquoi le juge va-t-il changer vos propos ?» lance le président. Il lit à haute voix le PV d'audition de l'accusé lors de l'instruction, il dit que «c'est Réda Hemch qui est intervenu en faveur du CAD et que tous les contrats que CAD a obtenus auprès de Sonatrach portaient son accord écrit». L'accusé conteste en disant que CAD n'a pas obtenu de contrat avec Sonatrach mais avec BRC, et qui, selon lui, ont été régularisés par Sonatrach. Le président appelle Abdelaziz Abdelwahab, directeur chargé de la gestion du siège Ghermoul, et Chawki Rahal, ex-vice-président de l'activité commerciale. Le premier est catégorique : «Senhadji a été informé par écrit et verbalement.» Mouloud Aït El Hocine, qui présidait la commission technique des activités commerciales, précise que le dossier était au niveau des activités commerciales, puis transféré vers les activités centrales, que présidait Senhadji, avec tous les documents y afférents, notamment la consultation. Chawki Rahal précise : «J'ai envoyé un PV du président de la commission, Mohamed Benaabas, avec pour objet le transfert du dossier technique et tous les documents y afférents y compris les offres des huit soumissionnaires.» Senhadji persiste à affirmer n'avoir pas été informé. Abdelaziz Abdelwahab exhibe des documents et déclare : «Rahal a transmis une lettre au PDG lui demandant l'accord pour un lancement d'un avis d'appel d'offres et le PDG a rédigé un ‘soit-transmis' envoyé à Senhadji pour l'en informer.» L'accusé continue à nier en indiquant ne pas l'avoir lu. Abdelaziz Abdelwahab revient à la charge : «Il m'a dit d'aller occuper le bâtiment, de ramener une société de démolition et de chercher un bureau d'études. S'il ne savait pas, pourquoi m'appelle-t-il, moi qui étais chargé du siège et non pas un responsable de la commerciale ?» Mohamed Senhadji perd la voix. Le juge donne la parole aux avocats et au procureur général pour les questions. Interrogé sur le montant du contrat d'Imtech, Chawki Rahal, en parfait connaisseur du dossier, déclare au juge : «En 2009, le chiffre d'affaires de Sonatrach a atteint 62 milliards de dollars. Elle était classée 11e compagnie au monde. C'est tout à fait normal que les cadres qui travaillent aux activités commerciales y bénéficient des meilleures conditions. Le siège de Ghermoul était une honte. Il nous fallait un bâtiment à la hauteur du rang de la compagnie.»