La nature de l'actuelle révision de la Constitution impose-t-elle une adoption par voie référendaire ? Le texte doit effectivement passer par un référendum parce que la Constitution est l'œuvre du peuple et doit lui être remis. Quand on réforme son acte constituant, on doit lui demander son autorisation. S'il ne s'agissait que de réviser des questions futiles ou techniques, on pourrait éventuellement passer par le Parlement réuni avec ses deux Chambres. Et pour cela, il existe des conditions assez claires dans l'article 176 : la première étant un avis motivé du Conseil constitutionnel qui sera publié dans le Journal officiel ; la deuxième condition étant de ne pas toucher à certaines matières liées au chapitre 1 de la Constitution touchant aux principes généraux de la société algérienne, c'est-à-dire allant de l'article 1 jusqu'au chapitre sur l'organisation des pouvoirs. Troisième condition : ne pas toucher aux équilibres fondamentaux. Si le texte obtient les trois quarts des voix des parlementaires, il n'est pas soumis à référendum. Si c'est moins, il y aura obligation de passer par un référendum.Si nous observons les modifications apportées aujourd'hui au texte, on constate des incohérences — dont l'article 51 qui est une remise en cause de l'article 29 de la Constitution qui dit que «tous les citoyens algériens sont égaux». L'article 51, comme présenté pose un problème d'égalité ; il introduit une discrimination et deux sortes de citoyens, un premier rang de citoyens jouissant de tous leurs droits politiques, un deuxième rang de citoyens amputés de leurs droits politiques et ne pouvant pas prétendre à certains postes politiques. Cette disposition est en contradiction aussi avec l'article 50 de la Constitution qui dit que tout citoyen algérien est électeur et éligible. On ne peut pas discriminer une partie des citoyens algériens parce qu'ils sont nés dans un pays étranger… On ne peut pas dire qu'ils sont moins patriotes que les autres. - Ce même article 51 a été amendé quelques jours seulement après la présentation du projet de révision de la Constitution. Est-ce une procédure normale ? La démarche ne dérange pas, en fait, car nous n'en sommes qu'à la phase de l'initiative, et ce, jusqu'au jour où le projet sera adopté. - Ne trouvez-vous pas que cela altère un peu le sérieux de la démarche ? Il s'agit tout de même d'un texte fondamental... Oui, il faut reconnaître qu'il y a beaucoup d'incohérences dans ce texte. On peut évoquer parmi elles la transhumance politique qui remet en cause le principe du mandat national. L'article 105 sur le mandat national stipule que le député ne peut pas être déchu de son mandat parce qu'il est élu par le peuple. Ce nouvel article sur la transhumance politique est très présent dans les pays africains. On peut ne pas être contre, puisque la transhumance politique pose un problème d'éthique politique bien sûr… Mais la Constitution consacre le principe de mandat national, donc on ne peut pas déchoir un député de son poste car il représente des électeurs. Lorsqu'il est élu, il devient l'élu de la nation entière. - Qu'en est-il des libertés fondamentales ? Sont-elles réellement garanties par cette Constitution ? La question de recours préjudiciel ou l'article 166-bis consacré à l'exception d'inconstitutionnalité permet par exemple à un binational, qui est touché dans son droit d'être élu et électeur, d'aller devant un juge et de soulever cette question d'inconstitutionnalité. C'est une innovation majeure dans cette Constitution, ce type de recours ou de procédure n'existait pas avant. Cette exception d'inconstitutionnalité ne peut être réglée par la décision d'un juge, ce dernier doit saisir à son tour sa hiérarchie, la Cour suprême ou le Conseil d'Etat qui doit faire un renvoi préjudiciel et saisir le Conseil constitutionnel qui aura quatre mois pour se prononcer et décider s'il y a inconstitutionnalité et donc l'enlever de l'ordre juridique. Mais l'application de l'exception d'inconstitutionnalité n'est pas pour aujourd'hui, il faudra attendre la promulgation d'une loi organique. Et selon l'article 181 de la Constitution, il faudra même attendre trois ans avant que les dispositions de l'article 166-bis soient mises en œuvre. Donc l'innovation majeure apportée par la Constitution n'entrera en vigueur qu'à partir de 2019. Les libertés et droits fondamentaux doivent donc attendre un bon moment.