Poursuivant son questionnement des grands problèmes qui agitent l'Algérie depuis cinq décennies, Malek Bensmaïl a immergé sa caméra au cœur du quotidien El Watan dont il révèle tout à la fois le fonctionnement profondément démocratique et la place unique qu'il occupe dans le champ de la presse algérienne et arabe. Après une radioscopie des maux de la société algérienne à travers la vie d'un hôpital psychiatrique Aliénations, après une plongée dans les arcanes du pouvoir et la décennie noire Algérie(s), après l'exploration d'un QG d'une campagne électorale à Alger Le grand jeu, après un regard pertinent sur le système scolaire algérien dans un village des Aurès, La Chine est encore loin, Malek Bensmaïl a posé son œil éclairé sur la vie d'un quotidien francophone qui, en plus de deux décennies, a acquis un statut et une place enviable dans le domaine de l'information et de la communication. Abrités depuis la décennie noire des années 90' au sein de la Maison de la Presse, les journalistes d'El Watan sont «captés» et «castés» à une période particulière de leur vie, à savoir la campagne présidentielle d'avril 2014, à un moment symbole que représente aussi la livraison prochaine de leurs nouveaux locaux, palier supplémentaire dans leur quête permanente d'une indépendance accrue. Ce qui frappe au premier abord, après visionnage d'un film d'1 heure 37, c'est le caractère de liberté totale qui règne au sein de ce journal, tordant le cou aux rumeurs souvent malveillantes et malintentionnées d'un quotidien dont la relation au(x) pouvoir(s) serait, paraît-il, frappée du sceau de l'ambiguïté. Que nenni ! Bien au contraire, lorsqu'on observe les échanges permanents entre journalistes - dont le directeur Omar Belhouchet - il ressort l'image d'une pratique professionnelle et surtout démocratique. Ce que confirme Malek Bensmaïl dans son propos : «Après vingt ans d'existence et de combat de la presse algérienne indépendante, de joies et de pleurs, j'ai décidé d'installer ma caméra au sein de la rédaction d'El Watan qui suit l'actualité de ce nouveau printemps algérien, le président Bouteflika briguant un 4e mandat. Au-delà de ce que l'on appelle «les révolutions arabes» et d'autres termes médiatiques, ce film, je le souhaite avant tout comme une contribution à la mémoire des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, qui mènent un combat au quotidien afin de préserver la liberté d'informer dans un pays politiquement et socialement sclérosé.» De fait, à travers les nombreux échanges permanents entre journalistes, le spectateur apprend et comprend les tares d'un système qui n'a de démocratique que l'intitulé de son appellation. Mais il serait réducteur de n'évoquer que le contenu de Contre-pouvoirs et de négliger le travail cinématographique de Malek Bensmaïl. S'inspirant de grands maîtres du genre documentaire comme l'américain Wiseman ou le Français Raymond Depardon, Malek Bensmaïl et ses caméras s'immergent au sein du quotidien de manière à capter les pulsations de la vie intérieure pour donner, in fine, la représentation exacte du réel. Et cela c'est la marque des plus grands documentaristes dont Malek Bensmaïl fait désormais partie. La formule du caricaturiste Hic parle d'elle-même pour raconter El Watan et le pouvoir : «El Watan est né sous Chadli, a espéré sous Boudiaf, a résisté sous Zeroual et a survécu sous Bouteflika». Cette dernière affirmation trouve tout son sens dans les échanges entre Belhouchet et l'avocat du journal, sans cesse en butte aux attaques qui n'ont de judiciaires que le nom, tant les coups bas sont monnaie courante. C'est le directeur de la publication Omar Belhouchet qui le souligne au détour d'un échange : «Ce pays a connu cinquante ans de manipulations…». Et tout le talent et la détermination des journalistes éclatent au quotidien face à des informations et des événements qu'ils décryptent avec force arguments. Un journal n'est jamais libre par le fait du hasard ou des circonstances… Directeur, rédacteurs en chef, éditorialistes, chroniqueurs, chefs de rubrique, reporters et correspondants, autant d'intervenants qu'il faut savoir «mettre en musique» pour que chaque jour le bon papier, le bon titre (Bouteflika élu dans un fauteuil), la bonne formule (Le Qatar et sa diplomatie du chéquier) frappent au cœur de l'intelligence du lecteur. Les conférences de rédaction sont le cœur et le pouls de la vie du journal. Les échanges sont parfois vifs entre journalistes (Ali Benyahia et Hacen Ouali entre autres) dès lors que le sujet est frappé du sceau de la complexité : les émeutes à Béjaïa et à Ghardaïa ou les manifs du mouvement Barakat dont un journaliste est membre, signalent au passage qu'un observateur est aussi un acteur et un citoyen de la vie politique de son pays. Le récit du journal est entrecoupé de séquences qui indiquent l'avancement et l'achèvement des travaux du nouveau siège où – énième paradoxe d'une Algérie frappée par le chômage - les ouvriers sont chinois ! Une autre séquence est très parlante : le journalisme de terrain ne cède pas la place aux forums de la rédaction. Les reporters sont en «campagne» pour enregistrer les réactions des citoyens après un plébiscite (80%) de Bouteflika qui fait sourire et «sarcasmer» les journalistes très au fait de la réalité vécue. En phase avec tous ces acteurs de la vie de l'information, Malek Bensmaïl signe un film dont le credo demeure le souci de la non-manipulation et de la vérité sous toutes ses formes. Ode à la presse et à ses plumes en liberté, Malek Bensmaïl clôt son film en rendant hommage aux 120 journalistes qui ont payé de leur vie leur désir de liberté, et de quelle liberté ! lorsqu'il s'agit de la liberté d'expression.