Une certaine fébrilité régnait, samedi soir à Bab El Oued, à Alger. Et pour cause : Cheikh El Hasnaoui, l'un des géants de la chanson d'expression kabyle, était au sommet de l'Atlas. Et le ballet incessant des artistes démontrait ce je ne sais quoi de magique dans l'atmosphère. Car on y célébrait Cheikh El Hasnaoui, l'immense chanteur, musicien, auteur et compositeur. Un hommage appuyé, généreux, bien que tardif — 14 ans après sa disparition — rendu à l'endroit d'un grand nom de la musique algérienne. Une belle initiative à saluer, émanant de l'Office national des droits d'auteur (ONDA). Et la présence de ses enfants spirituels — le poète Lounis Aït Menguellet, Takfarinas, Djura, Hamidou, Rachid Koceila, El Hasnoui Amechtouh, Khaloui Lounès, Nouria Yasmine, Chaou Abdelkder, Nassima Chabane, les réalisateurs Ghaouti et Djamel Bendedouche,e les ministres de la Culture Azzedine Mihoubi, et de la Jeunesse et des Sports El Hadi Ould Ali, le directeur général de l'ONDA, Sami Bencheikh El Hocine, et même une équipe de la chaîne française TV5 Monde, pour immortaliser l'événement — prouve l'ampleur et la grandeur de ce «tribute» à la mesure de l'homme, Cheikh El Hasnaoui. «C'est un pan entier de notre patrimoine» Azzedine Mihoubi déclarera à propos de Cheikh El Hasnaoui : «Cela entre dans les traditions du ministère de la Culture et de l'Office national des droits d'auteur de s'occuper des hommages. Je pense qu'on a un peu tardé pour Cheikh El Hasnaoui. C'est un grand artiste. Une école. Des générations se sont inspirées et ont beaucoup appris de lui. Il représentait la vraie Algérie. Il chantait en tamazight et en arabe. J'ai écouté ses chansons, il chante sa vie, l'exil… Cet hommage est celui à un grand nom. Le problème, c'est il a vécu loin, en exil. Cet hommage permet de le faire découvrir à la nouvelle génération. Comme hier, Blaoui Houari a été honoré à Oran, Cheikh El Hasnaoui est célébré, ici, à Alger. Cet hommage est un devoir. Pour qu'il soit un repère dans la chanson algérienne. C'est un pan entier de notre patrimoine. On espère que les jeunes chanteurs s'inspireront de lui en reprenant son répertoire. Quand on parle de Cheikh El Hasnaoui, on parle de tamazight qui est actuellement dans le cinéma, le théâtre, l'éducation, les médias… Dans son milieu naturel parmi les gens. Son hommage en ce moment est très important…» Aussi, lors de cette soirée commémorative plusieurs artistes se sont succédé. Djura, ex-membre du fameux groupe féminin Djurdjura, chante et déclame une ode à la femme : «Je suis celle qui porte ce nom de femme/l'astre du berger/ l'essence même de la dignité/ la fille issue de l'honneur/je suis la beauté du Djurdjura/ je suis celle de la beauté du regard/ c'est de moi que vous êtes nés...» Djura, belle et rebelle, était aux cimes du Djurdjura : «Cheikh El Hasnaoui c'est un maître, un patrimoine, un pilier de notre culture. Depuis mon enfance j'écoute ses chansons. J'ai grandi avec. J'ai encore ses refrains dans ma tête. Pour nous, il était un grand qui avait la notion de l'art. Aujourd'hui, cela fait plaisir de lui rendre hommage. De la garder dans nos cœurs et dans nos mémoires…» Ces fils et filles spirituels Le chanteur Khaloui Lounès a interprété Inas Ma Dias. Dans un documentaire sur la vie de Cheikh El Hasnaoui réalisé par Abderrazak Labi Cherif et Meziane Ourad, on découvre cette lettre adressée à Khaloui Lounès : «Cher Khaloui, je soigne cette cataracte et je reviendrai en Algérie…» Une promesse qui, malheureusement, ne sera jamais exaucée. Car il décédera à Saint-Pierre de La Réunion, le samedi 6 juillet 2002 à l'âge de 92 ans. La rose de Blida, la chanteuse de musique arabo-andalouse Nassima Chabane, a fait une belle et émouvante reprise de Noudjoum Elil. Un version délicate et gracieuse. Hamidou a repris Aruah Aruah avec brio. Takfarinas, l'invité-surprise, a salué la mémoire de son idole avec déférence et respect : «Cheikh El Hasnaoui, c'est mon maître ! Je suis venu spécialement pour participer à son hommage. J'aurai aimé qu'il revienne en sa patrie, sa terre natale Allah yarhamou ! Et qu'il soit enterré en Kabylie. Son art, c'est un remède à tout. Allah yarhamou…» Ainsi que Chaou Abdelkader, Rachid Koceila, les danseurs du Ballet national à travers une chorégraphie évoluant sur Rod Balek, surtout El Hasnaoui Amechtoh qui fera une reprise de A Yema A Yema. Un autre fils spirituel perpétuant le patrimoine discographique de son mentor. Cheikh El Hasnaoui (Mohamed Khelouat Zoubir pour l'état civil) était un chanteur, musicien et auteur-compositeur-interprète kabyle. Son nom d'emprunt se réfère à sa région natale, le ârch des Ihassenaouen (I'esnawen), confédération des Aït Aïssi, où il naît le 23 juillet 1910 au hameau de Taâzibt, village de Tadart Tamuqrant, dans la commune de Beni Zmenzer, située au sud de la ville de Tizi Ouzou, en Kabylie (Algérie). Il est décédé à Saint-Pierre de La Réunion le 6 juillet 2002. Orphelin de mère à deux ans, Mohamed a été élevé par sa famille. L'enfant grandit dans le climat de la culture des zaouüas, il fréquente le timaâmrin. Il dut quitter le village natal vers 1930 vers Alger où il trouve un travail de nuit sur les quais. Il habite rue Mogador, à La Casbah, et fait même partie de l'orchestre de L'Hadj M'hamed El Anka. Sa première chanson, A Yema A Yema, est une complainte de déracinés, composée à Alger en 1936. La Maison Blanche, l'exil En 1937, à l'orée de la Seconde Guerre mondiale, El Hasnaoui est en France, à Paris, dans le 15e. De 1939 jusqu'au début des années 1950, avant le déclenchement de la Guerre d'Algérie, il produit l'essentiel de son répertoire composé de 29 chansons kabyles et de 17 en arabe algérien. En 1968, il enregistre ses dernières chansons : Cheïkh Amokrane, Haïla hop, Merhva, Ya Noudjoum Ellil, Rod Balek. Il quitte définitivement la scène artistique après ces enregistrements. Cheïkh El Hasnaoui est considéré comme une figure de proue de son genre musical et un symbole aussi de l'Algérie réconciliée avec ses identités. En effet, le chanteur alterne dans ses compositions l'arabe algérien et le kabyle. Cheikh El Hasnaoui, souvent associé à son titre majeur, intitulé La Maison Blanche, s'illustre dès les années 1930 en créant un style propre à lui et reconnaissable à sa cascade de voix grave, aux sonorités lancinantes du banjo et à ses textes qui évoquent la douleur sentimentale. Douleur pour laquelle Cheikh El Hasnaoui s'exile en France. Le thème de l'exil deviendra le leitmotiv d'une grande partie de son œuvre. De Lounès Matoub à Lounis Aït Menguellet ou, plus tard, Kamel Messaoudi et bien d'autres s'inspirent ou évoquent l'œuvre musicale de Cheikh El Hasnaoui, pour sa musique ou sa thématique récurrente de l'exil comme source d'inspiration. Le précieux cadeau de Da Akli Yahiaten «Cheikh El Hasnaoui, comme ceux disparus ou vivants, représente l'un de nos repères. Donc, aujourd'hui, rendre hommage à Cheikh El Hasnaoui, c'est une excellente chose. Et pour nous, c'est un devoir d'être présents. On aurait aimé lui rendre hommage de son vivant mais bon, les circonstances ne l'ont pas permis…», souligne avec élégance le menestrel de la chanson kabyle, Lounis Aït Menguellet. Da Akli Yahiaten, un autre monument, est arrivé avec un précieux instrument qu'il a exhibé fièrement : «C'est un mandole datant de 1890 que mon ami Cheikh El Hasnaoui m'a offert en 1968, à Paris, Allah Yarhamou. Un beau cadeau ! Cheikh El Hasnaoui était un grand artiste. Il a une grande valeur. Un grand Monsieur. Il a marqué son temps. C'est dommage qu'il n'ait pas revu son pays natal. Il avait quitté le pays en 1937. Depuis, il n'était jamais revenu…» Un bel hommage, tard et tardif. Mais comme on dit : «Last but not least !» Cheikh, le maître, le géant, est aux cimes de l'Atlas, du Djurdjura ! Tanemirth (merci).