L'ancienne ministre de la Justice, Christiane Taubira, bouscule les lignes politiques alors que le projet de révision constitutionnelle sur l'état d'urgence et la déchéance de la nationalité sera présenté demain en Conseil des ministres. Christiane Taubira avait tout préparé avant de démissionner de son poste de ministre de la Justice la semaine dernière. Dans le plus grand des secrets, elle a rédigé un livre intitulé Murmures à la jeunesse dans lequel elle critique ouvertement la politique du gouvernement au sujet de la déchéance de la nationalité qui figurera dans la réforme constitutionnelle qui sera débattue par les deux Chambres parlementaires à partir du 5 février. Si l'état d'urgence, qui sera prolongé par le Conseil de ministres demain, ne pose pas de problème politique à Mme Taubira, elle avait par contre joué son va-tout en décembre contre la déchéance, depuis Alger, en affirmant que cette disposition controversée avait été annulée. Le lendemain même, le visage fermé, elle avait dû faire contre mauvaise fortune bon cœur, laissant le Premier ministre indiquer que la déchéance se ferait y compris pour les Français de naissance, mais binationaux. Dans son livre publié aux éditions Philippe Rey, Christiane Taubira met en avant la préservation contre le terrorisme «des valeurs qui sont le socle de la République». L'ancienne ministre de la Justice avait beaucoup réfléchi avant de rendre le tablier gouvernemental. «Je ne suis sûre de rien, sauf de ne jamais trouver la paix si je m'avisais de bâillonner ma conscience», écrit-elle. Son éditeur parle de «paroles d'une femme de conviction, paroles d'une femme libre». Pour Christiane Taubira, «un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux. Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables ? Faudrait-il imaginer une terre-déchetterie où ils seraient regroupés ?» Elle regrette la ségrégation de fait entre Français qui ne possèdent que cette nationalité et les autres déjà largement fustigés par les extrémistes de tout bord. «Etre binational est un sursis» Le pouvoir minimise les conséquences, parlant de symbole et que les nouvelles dispositions ne toucheront que les terroristes qui n'ont plus le droit d'être Français. Pour Mme Taubira, cela a forcément des conséquences dans la vision de l'opinion publique vis-à-vis de tous les binationaux, «celles et ceux qui partagent, par totale incidence avec les criminels visés, d'être binationaux, rien d'autre (…). C'est à tous ceux-là que s'adresse, fut-ce par inadvertance, cette proclamation qu'être binational est un sursis. Et une menace : celle que les obsédés de la différence, les maniaques de l'exclusion, les obnubilés de l'expulsion feront peser et le font déjà par leurs déclarations paranoïaques et conspirationnistes, sur ceux qu'ils ne perçoivent que comme la cinquième colonne». Si à gauche, les personnalités n'ont pas été rassurées par les contorsions du gouvernement à affirmer un peu vite que le terme binationaux ne sera pas noir sur blanc porté dans la Loi constitutionnelle, il n'en demeure pas moins qu'elle ne s'adressera qu'à ceux-ci car il sera clairement indiqué qu'il est impossible de créer des apatrides. A droite du reste, on continue d'émettre des réserves. Hier matin, Rachida Dati (parti Les Républicains) a réaffirmé, à la suite de nombre de députés de son camp, son opposition à la déchéance de la nationalité. «Je suis contre qu'elle soit inscrite dans la Constitution. Celle-ci ne sert pas à ça», insiste l'ancienne ministre de la Justice de Nicolas Sarkozy. Quant à la rédaction transformée, pour Mme Dati, elle est «cynique et hypocrite». D'ailleurs, «on va perdre du temps parlementaire pour une mesure qui n'aura aucune efficacité dans la lutte contre le terrorisme».