Moins d'une semaine après sa démission, l'ex-ministre de la Justice française Christiane Taubira publie un livre surprise dans lequel elle critique l'extension de la déchéance de la nationalité, mesure controversée qui doit être débattue au parlement à partir de vendredi. Ecrit dans le plus grand secret et imprimé discrètement en Espagne, cet essai d'une centaine de pages expose les raisons pour lesquelles Mme Taubira, icône d'une partie de la gauche en France, est opposée à l'inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Tiré dans un premier temps à 45.000 exemplaires, «Murmures à la jeunesse» sort officiellement aujourd'hui mais a été mis en vente dès hier dans les librairies. Sa publication intervient après l'adoption en Conseil des ministres du projet d'élargissement de la déchéance de nationalité, et à quatre jours du début de l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale. Figurant dans un projet de réforme constitutionnelle pourtant cosigné par Mme Taubira, cette mesure prévoit l'élargissement de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français et condamnés pour terrorisme et a été voulue par le président François Hollande après les attentats de Paris qui ont fait 130 morts en novembre. Soutenue par une grande majorité des Français selon les sondages, elle est très critiquée à gauche, jusqu'au sein même de la majorité présidentielle socialiste. Le gouvernement a depuis proposé une nouvelle version du texte expurgée de toute référence à la nationalité et qui renvoie la faculté de prononcer une déchéance au juge judiciaire. «L'absence totale d'efficacité, unanimement reconnue, suffit-elle pour renoncer à la déchéance? Non, bien sûr», explique Mme Taubira dans son ouvrage. Mais «osons le dire: un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux. Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables? Faudrait-il imaginer une terre-déchetterie où ils seraient regroupés? (...) Quel message d'impuissance, réelle ou présumée, une nation enverrait-elle ainsi? Oui, le principe est dur à entendre mais il est intangible», écrit l'ex-garde des Sceaux. Selon son éditeur, Mme Taubira a travaillé sur son livre «les 10 premiers jours de janvier». C'est elle même qui a contacté l'éditeur, sans jamais évoqué sa future démission, mais en exigeant «la plus grande confidentialité». La sortie de «Murmures à la jeunesse» faisait la une de tous les médias français hier matin. A grand renfort de références littéraires mais aussi musicales, le livre de Mme Taubira rend aussi hommage au président Hollande et à sa gestion des attentats. Celle qui fut décrite comme la «caution de gauche» du gouvernement défend également la constitutionnalisation de l'état d'urgence, instauré mi-novembre après les attentats.