Parce qu'il en a énormément souffert, le milieu de la presse écrite publique et privée avait dénoncé, en son temps, la pratique que vient de révéler le document émanant du général Nezzar et publié par le site algeriepatriotique. Les voix qui s'étaient élevées à ce moment-là, en pleine période du terrorisme, restèrent sans écho — ou vite étouffées — tant les auteurs des «détournements» des pages publicitaires étaient puissants. Selon le document, un pactole important a été amassé par le général Betchine, homme fort du Renseignement, qui disposait de deux journaux, l'un en français l'autre en arabe. Certainement qu'il n'était pas le seul ; d'autres, tout aussi puissants, ont dû profiter de cette manne inespérée transférée vers leurs propres publications uniquement pour s'enrichir, sans aucun justificatif d'audience auprès du lectorat. Mais comment débusquer ces gens-là, sévissant y compris dans les années 2000, tant le secteur de la publicité est frappé — à dessein — d'omerta ? La gestion a été confiée à l'ANEP, entreprise, il faut le dire, qui ne pouvait rien faire contre les puissants donneurs d'ordres. Pour la «protéger», on lui avait confectionné un monopole spécifique, alors que la loi interdisait tout simplement tout monopole. Cette activité monopolistique perdure ; aujourd'hui, aucune saisine du Conseil de la concurrence ou de la justice n'a été entreprise — et n'a abouti — du côté des journaux et des agences privées de publicité. Les pouvoirs publics ont favorisé à dessein cette situation en retardant la mise en place d'une loi sur la publicité. Les quelques tentatives ministérielles de mettre de l'ordre, par la loi, dans ce secteur ont vite été mises au placard. Un tel texte aurait pourtant été utile, car outre le bannissement du monopole sur la publicité institutionnelle, il aurait permis de réglementer son usage. Mieux encore, il aurait fixé les conditions d'accès à la publicité d'Etat aux journaux et publications sans grand tirage mais d'une utilité publique avérée. L'accès à la publicité institutionnelle peut s'intégrer dans une politique d'aide à la presse, plus globale, à l'image de celles existant dans toutes les démocraties. Et c'est là où le bât blesse. Les autorités ne se sont jamais engagées dans une telle voie, nécessaire pour le droit à l'information du citoyen, utile pour l'assainissement de la presse écrite, favorable aux annonceurs dont les publicités sont détournées vers des supports non choisis, donc fatalement improductifs, ce qui relève de la faute de gestion. Et si les autorités ont fait le choix, à ce jour, de l'opacité et de la gestion illégale, c'est qu'elles avaient besoin de l'argent de la publicité institutionnelle. C'est une source de financement conséquente des opérations politiques ou de marketing. Des milliards ont d'ailleurs été dépensés pour maintenir en vie des dizaines de publications s'inscrivant dans les choix des autorités. La plupart du temps, les journaux n'avaient pas d'autre choix, privés d'un soutien étatique indirect. Ce fut un choix imposé, celui de la survie. L'Etat a surfé sur cette situation, l'utilisant à fond. Un colonel du DRS s'était spécialisé dans la manipulation des médias par le chantage à la publicité. Un ministre de la Communication est allé plus loin : en connivence avec d'autres hauts responsables, il a «élargi» ce chantage à la publicité privée, interdisant directement — ou indirectement — à de gros annonceurs privés d'octroyer des placards publicitaires à des organes de presse jugés un peu trop critiques à son goût à l'égard des autorités. Le désastre de la gestion de la publicité institutionnelle ne s'arrête donc pas au général Betchine. C'est toute une chaîne de responsabilités qu'il faudra un jour situer. Quel jour ?