L'économiste et professeur à l'université de Béjaïa Mourad Ouchichi, le journaliste et écrivain Amar Ingrachen, le penseur et écrivain Mohamed-Lakhdar Mouagal et l'ancien ministre de l'Enseignement supérieur et ex-député FFS Abdeslam Ali-Rachedi, quatre des seize auteurs du livre collectif Quelle transition démocratique pour quelle Algérie ? Constat, enjeux et perspectives (coordonné par Amar Ingrachen et paru récemment aux éditions Frantz Fanon) ont été, hier, les invités du Café littéraire de Béjaïa. Dans sa contribution intitulée Stratégie fatale des simulations démocratiques, Mohamed-Lakhdar Mouagal qui, d'emblée, déplore une Algérie «livrée à la dérive», remonte à l'histoire de la Révolution algérienne qu'il trouve «indigente» en matière d'idées, même si elle était de type démocratique. Selon lui, les oppositions qu'il y avait entre les partisans d'une «démocratie populaire» soucieuse, en plus de la décolonisation, des libertés démocratiques du peuple, et ceux d'une démocratie de «type nationaliste» excessive (messalistes), focalisée sur la décolonisation, ont donné lieu à des blocages dont les effets perdurent jusqu'à aujourd'hui. Le conférencier relève dans ce sens les oppositions entre une «centralité interne et une centralité externe» et condamne sans ambages l'effet de «frein» de certaines résolutions du Congrès de la Soummam pour l'émancipation démocratique, à l'instar de la centralisation et la «bureaucratisation» qui en ont découlé, lesquelles «ont ôté aux régions leur autonomie» dans la gestion de la Révolution. De ce fait, déplore le conférencier, même si elle était de type démocratique, la Révolution algérienne était «indigente» en matière d'idées et ce problème a conduit aux «blocages qui perdurent jusqu'à aujourd'hui». De son côté, Abdeslam Ali-Rachedi, dont la contribution est intitulée La prégnance du discours nationaliste populiste : obstacle à la transition démocratique, impute le blocage à deux raisons : l'idéologie d'essence «nationale islamo-populiste» de l'Algérie et son modèle économique rentier. Invoquant, lui aussi, l'histoire du Mouvement national, notamment la phase où le nationalisme de type «culturel et identitaire» était imposé au peuple algérien, en opposition au nationalisme civique et politique. De cet état de fait est né, décrit le conférencier, «une vision globalisante» du peuple algérien. C'est donc l'opposition du populisme à la citoyenneté, au détriment de la démocratie. Evoquant l'économie rentière, Ali-Rachedi considère qu'il y a «un contrat implicite» entre l'Etat et le peuple. En d'autres termes, explique-t-il, «le régime ne jouit pas de légitimité politique et populaire, d'où son recours à l'achat de la paix sociale à travers la rente qu'il a accaparée». Pour en sortir, le conférencier préconise une solution politique, mais ne manque pas de prédire des lendemains «sombres» inévitables pour l'Algérie. Dans le même sillage, Mourad Ouchichi, dont la contribution est intitulée Concordance entre les réformes politique et économique, relève les échecs répétitifs des tentatives d'ouverture de l'économie algérienne, en l'occurrence la thérapie du choc d'après la révolte de 1988 et le plan d'ajustement structurel qui l'a suivie. L'économiste déplore «un dédoublement du pouvoir» au sein des institutions, plaidant que la transition politique est liée à une transition économique. Pour cela, plaide-t-il encore, «seul un rapport de forces qui va nous opposer à ce pouvoir militaro-islamiste» est capable de sortir l'Algérie de l'ornière. Pour sa part, le journaliste Amar Ingrachen s'est posé des questions sur la capacité de l'opposition algérienne, en l'occurrence les partis regroupés au sein de la CLTD, de représenter une alternative à même de buter sur la transition démocratique tant voulue. A ces questions, il répond qu'«il est pessimiste que l'opposition actuelle puisse imposer le changement». Explication : pour le conférencier, «les démocrates ont une vision un peu fantasmée de la démocratie», estimant que la démocratie est un projet qui se construit et non une nécessité historique qui aura lieu qu'on lutte ou pas. Il reproche, par ailleurs, aux forces démocratiques leur alliance avec les partis islamistes, lesquels, selon lui, «n'entrent dans le jeu démocratique que dans le but de s'emparer du pouvoir».