La politique économique menée par le président Bouteflika depuis 15 ans est qualifiée par l'opposition d'«indigente». C'est n'est peut-être pas encore le Titanic, mais la chute du baril de pétrole est en train de devenir cauchemardesque pour le pouvoir. Depuis des années, le régime, qui s'était lancé dans une politique de subventions à outrance pour se garantir une paix sociale, est aujourd'hui rattrapé par la chute drastique de ses rentrées en devises. Face à la situation, pour la première fois, le régime reconnaît publiquement que le pays fait face à une crise «sévère et inquiétante». Au mieux, cette année, l'Algérie devrait voir ses recettes se contracter de 15% par rapport à 2012 avec une chute prévue des revenus à quelque 60 milliards de dollars contre 70 milliards deux ans auparavant, alors que la balance des paiements devrait enregistrer, pour la première fois depuis 15 ans, un solde négatif en 2014. L'opposition voit là une nouvelle occasion de critiquer le bilan du président Bouteflika et de sa politique économique et sociale, qualifiée d'«indigente». «La rente des hydrocarbures a été dilapidée dans de dispendieuses infrastructures, la prévarication et un saupoudrage destiné à calmer la population», juge Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, qui regrette que «quand le prix du pétrole est au plus haut l'argent est pour eux et quand il baisse, le tour de vis est pour les plus faibles». «Le tour de vis, c'est pour les faibles» Et de suggérer à Sellal de s'attaquer en priorité au train de vie de l'Etat : «Il aurait été plus judicieux pour le Premier ministre de se débarrasser des voitures de luxe détenues par la Présidence ou encore de mettre en vente l'avion présidentiel. Il aurait pu annoncer le rapatriement de l'argent détourné par l'ancien ministre Chakib Khelil et son bras droit Farid Bedjaoui. Malheureusement, les seules mesures concrètes que Sellal a décidé de mettre en place touchent directement les plus démunis.» «Il y a de l'argent à récupérer chez ceux qui ont des fortunes», juge Mahmoud Rachedi, secrétaire général du Parti socialiste des travailleurs (PST), qui estime que les mesures annoncées par le régime démontrent l'échec de la politique libérale menée depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir. M. Rachedi regrette que dans les mesures annoncées, «aucune ne touche les importateurs». Même constat au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), qui juge les mesures «irresponsables et populistes». Et de se demander «comment accepter de geler les recrutements et les investissements dans les domaines de l'éducation et de la santé alors qu'un plan de recrutement par milliers est arrêté pour la police et les besoins de la répression ? Pourquoi le gouvernement ne s'attaque-t-il pas sérieusement au secteur de l'informel et de l'import ? Les Algériens ont le droit de savoir où sont passés les milliards de dollars engloutis par le secteur de l'agriculture alors que l'Algérie continue à importer pour 11 milliards de dollars de produits alimentaires», fustige Athmane Mazouz, chargé de la communication au RCD. «Un débat à l'APN» Pour la classe politique, le gouvernement a agi dans la précipitation. Il lui est reproché une prise de conscience insuffisante et tardive de la situation. Mais également des décisions unilatérales sans concertation avec les partis politiques. «On aurait bien aimé que le gouvernement initie un débat à l'APN avant de prendre ces mesures. C'est une façon de faire participer les élus de la nation à un péril qui touche le pays», estime Lakhdar Benkhellaf, député du parti El Adala, qui condamne l'irresponsabilité d'un pouvoir qui n'a pas anticipé le choc. «Ce que nous traversons pendait au nez du pouvoir depuis un certain temps. Tous les experts avaient averti les autorités que si des mesures n'étaient pas prises pour diversifier notre économie, on le payerait très cher au moment de la chute du prix de pétrole», rappelle-t-il. Et de se demander si l'Etat sera encore en mesure, si la chute de baril persiste, de payer les salaires des fonctionnaires et les retraites. «Le Fonds de régulation des recettes (FRR) était de 4600 milliards de dinars. En 2013, on a puisé 1400 milliards de ce fonds alors que le baril était à 110 dollars pour parvenir à l'équilibre budgétaire. Aujourd'hui, avec un baril à moins de 60 dollars, c'est le matelas en devises qui va être entamé.» Si pour les partis de l'opposition, la situation économique est préoccupante, elle offre par contre l'opportunité de relancer son idée pour la mise en place d'une «transition négociée» avec le régime. Car comme le suggère le député d'El Adala, le pouvoir est coincé et sera bien obligé de lâcher du lest car «il risque de devoir affronter une explosion sociale».