Les neuf membres du Conseil de la présidence du gouvernement libyen traduisent le morcellement de l'échiquier politique de ce pays en guerre. Chaque membre représente une frange et chaque désistement, à un moment ou un autre du parcours, exprimera le mécontentement d'un groupe politique ou d'une tribu. C'est pourquoi Fathi Majberi, «représentant» du général Haftar et porte-parole du Conseil de la présidence, a multiplié les sorties. Pour lui, le désistement de Haftar du poste de chef d'état-major équivaut systématiquement à l'attribution du portefeuille de la Défense à quelqu'un de l'Est, qui a l'aval de Haftar. Or, un tel deal n'était pas acquis du côté de Tripoli, puisque Abdelhakim Belhaj et son groupe visent également ce poste. Finalement, la pression internationale sur Tripoli l'a obligé à accepter la nomination de Mehdi Brahim Barghethi à la tête du ministère de la Défense. Majberi n'aurait pas réintégré les rangs si cette condition n'était pas remplie. La même logique a été observée avec le ministère de l'Intérieur, attribué El Aref Salah Khouja, un lieutenant de Abdelhakim Belhaj, l'ex-lieutenant de Ben Laden, maître de Tripoli. Le ministère de la Justice a été attribué à Jemaâ Abdallah Darsi, un juge de la Cour suprême, qui a été pressenti à ce poste, même du temps d'El Gueddafi. Les portefeuilles de l'Economie et des Finances ont été attribués à l'Est, avec Abdelmottalib Abou Faroua et Fakher Meftah Bouferna. Histoire de répondre à l'exigence de l'Est libyen qui conteste sa marginalisation et exige une part équitable du développement. Les Départements sociaux ont été attribués au sud du pays. Un tel partage a fait des insatisfaits, notamment Zentane et Tobrouk, dont les deux représentants n'ont pas validé l'équipe présentée par Serraj. Ainsi, Omar Lassoued (Zentane) a reproché à cette équipe d'être composée sur mesure pour les Frères musulmans. «La proposition des cinq secrétaires d'Etat a été faite dans les toutes dernières minutes, sans avoir la moindre idée sur les CV de ces personnes», a-t-il également reproché. Pour sa part, Ali Kotrani (Tobrouk) a contesté la manière du choix des ministres. Il a déjà quitté les débats depuis trois jours pour défendre l'attribution du ministère de Défense à un militaire de carrière, en soutien à Haftar. «Il est en retard de phase, en continuant à boycotter», estime le politologue libyen Ezzeddine Aguil, qui pense que «le gouvernement va avoir l'aval du Parlement de Tobrouk». Le Parlement a déjà tenu une première réunion à propos de cette équipe de Serraj. Quelques parlementaires ont réclamé la présence du chef du gouvernement pour présenter son programme. D'autres députés ont demandé qu'on leur présente les CV des personnalités composant ce gouvernement. Une autre réunion se tiendra ce matin pour à débattre et éventuellement pour valider le choix de Serraj. Réalité du terrain Au-delà du vote politique concernant le gouvernement et son investiture par le Parlement, la question de l'entrée en action du gouvernement se pose avec insistance. «Le ministre de la Défense est originaire de l'Est. Il est dans l'orbite de Haftar. Le ministre de l'Intérieur est de l'Ouest. Il est de la sphère de Belhaj. Cela veut-il dire que l'armée et les forces du ministère de l'Intérieur se formeront à partir de ces noyaux ?» s'interroge Ezzeddine Aguil, qui ajoute une autre question pertinente : «Qui va protéger le gouvernement s'il entre à Tripoli ?» A l'étranger, les spéculations se multiplient autour d'une intervention militaire étrangère à laquelle l'Algérie et la Tunisie, voisins directs de la Libye, s'opposent de toutes leurs forces. Le ministre tunisien des Affaires étrangères, Khemaïes Jehinaoui, a effectué avant-hier une visite en Algérie. Il a été reçu par le président Abdelaziz Bouteflika. C'était une occasion pour confirmer l'identité de vues des deux pays concernant une solution politique en Libye et l'impératif de soutenir un gouvernement de réconciliation nationale en Libye, bénéficiant du soutien international. Il a été également question de la tenue, dans l'avenir proche, d'une réunion entre les représentants des pays voisins de la Libye pour chercher des moyens permettant aux Libyens de surmonter leur crise d'une façon pacifique, comme le désirent la Tunisie, l'Algérie et les autres pays voisins et sans intervention militaire étrangère. Cette approche ne semble pas plaire aux Occidentaux, si l'on se réfère aux propos de la ministre italienne de la Défense, Roberta Pinotti, qui ne cesse de répéter que «l'Italie sera le fer de lance d'une intervention militaire en Libye». Les médias italiens parlent même de forces spéciales italiennes, déjà sur place, pour défendre les intérêts de l'Italie en Libye. La fin de la crise libyenne n'est visiblement pas pour demain.