Il est aisé de deviner que le Parlement de Tobrouk n'a toujours pas digéré le fait que l'actuel chef de l'état-major de l'armée libyenne, le général Khalifa Hafar, n'ait pas hérité du poste de ministre de la Défense. Le processus de règlement de la crise libyenne rappelle beaucoup le mythe de Sisyphe. A chaque fois qu'un belligérant accomplit un pas dans le sens souhaité par la communauté internationale, son adversaire s'arrange pour tout remettre en cause. Le Parlement de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale, a laissé filer une opportunité hier de mettre fin à la guerre civile entre l'Est et l'Ouest libyens depuis le renversement par l'OTAN du colonel Mouammar El Gueddafi, en 2011, et de rentrer ainsi dans l'histoire de la «Nouvelle Libye». Plutôt que de s'empresser de donner son quitus au gouvernement de transition formé la semaine dernière par Faïz Serraj à la suite d'âpres négociations, les membres de cette assemblée ont préféré tourner le dos à la paix et cela pour des considérations futiles. Les députés auraient trouvé le nombre de portefeuilles créés par Serraj trop important. C'est du moins l'argument avancé officiellement pour ne pas accorder leur confiance à l'équipe formée par Faïz Serraj. Mais le mal est certainement plus profond. A ce propos, il est aisé de deviner que le Parlement de Tobrouk n'a toujours pas digéré le fait que l'actuel chef de l'état-major de l'armée libyenne, le général Khalifa Hafar, n'ait pas hérité du poste de ministre de la Défense. Et il y a probablement lieu de s'attendre à ce que son président, Aguila Salah Issa, essayera encore d'imposer son protégé. Mais il n'y a pas que cela. La question du pouvoir et de la répartition des richesses en Libye est à l'origine de rivalités qui dépassent amplement le cas Haftar. Si les tentations hégémoniques des uns et des autres ne sont pas vite maîtrisées, la Libye risque tout simplement la partition. Arguments futiles et calculs politiques Que va-t-il se passer maintenant que le gouvernement Serraj n'a pas eu la confiance du «Camp de l'Est» ? Les différents belligérants devront probablement se retrouver à nouveau autour d'une même table et négocier jusqu'à ce qu'un nouvel accord soit obtenu sur les composantes de ce qui sera l'Exécutif libyen de transition. Il faut juste espérer qu'un compromis sera très vite obtenu, car en plus de la guerre civile qu'ils endurant depuis 5 longues années, les Libyens assistent impuissants à la prolifération de Daech sur leur territoire. La sédentarisation des terroristes de Daech et d'AQMI constitue une menace imminente et directe non seulement pour la Libye, mais également pour tous les pays du Maghreb et du pourtour méditerranéen. La communauté internationale ne peut pas se permettre d'attendre sagement et indéfiniment le temps que les Libyens accouchent d'un consensus pour pouvoir commencer à combattre le terrorisme. Le danger est trop grand. Daech a profité, en effet, du vide du pouvoir pour prendre le contrôle de Syrte, à 450 km à l'est de Tripoli, et ses environs. Pour se financer, le groupe terroriste a même lancé récemment une offensive vers la zone du «Croissant pétrolier» où sont situés les principaux terminaux pétroliers. Selon diverses sources européennes, Daech compterait environ 3000 combattants en Libye. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle certains acteurs régionaux font actuellement pression pour que certaines positions de Daech soient au moins pilonnées, cela à l'instar de ce que fait la Russie en Syrie. Dans le cas où Tripoli et Tobrouk n'arriveraient pas à s'entendre à très court terme sur un gouvernement d'union, il est fort à prévoir que les Etats partisans d'une intervention militaire dans l'ex-Jamahiriya passeront à l'offensive pour au moins tenter de circonscrire le danger. Des sources évoquent d'ailleurs avec insistance la constitution d'une coalition anti-Daech en Libye sous commandement de pays membres de l'OTAN. Une chose est sûre, les plans d'attaques contre Daech en Libye sont sur la table de nombreux états-majors. En attendant que les Libyens rattrapent vite le coup, la Libye se retrouve dans une posture des plus inédites : le pays qui s'enlise chaque jour un peu plus dans le chaos est représenté par trois gouvernements. Cela sans omettre de signaler qu'aucun de ces trois gouvernements n'a d'emprise sur le Fezzan où les Toubous et les Touareg se livrent aussi actuellement une guerre sans merci. Autant dire que la Libye est une poudrière qui risque de mettre encore à rude épreuve les nerfs de la communauté internationale.