Les signaux annonciateurs d'une intervention militaire étrangère en Libye s'intensifient et se précisent. Toutes les rencontres internationales sur la crise en Libye insistent sur l'urgence de contrer la montée de Daech dans ce pays. Il n'y a pas d'armée régulière ni de milice en Libye en mesure d'assurer cette mission.... Les conclusions de la rencontre de 37 pays à propos de la crise en Libye, tenue avant-hier à Rome, ont insisté sur les risques liés à la montée de Daech dans ce pays. «Ces derniers mois, l'Etat islamique (EI) a certes perdu 40% des territoires qu'il occupe en Irak et 20% en Syrie. Mais il est tenté par une percée en Libye», a déclaré l'Américain John Kerry à Rome. «Cette montée en puissance de l'EI en Libye est d'autant plus dangereuse qu'il y a risque d'une connexion avec d'autres groupes armés, comme Boko Haram, en Afrique, au sud du Sahara», a également déclaré la ministre allemande de la Défense. Les Italiens semblent autant inquiets que pressés. «La situation ne peut attendre jusqu'au printemps prochain», a insisté la ministre italienne de la Défense. Cette dernière a déjà parlé de la formation que va assurer son pays et l'Allemagne, en faveur de l'armée régulière libyenne sur le sol tunisien dans les prochaines semaines. De telles déclarations de tous bords ne sauraient que mettre dans le doute les affirmations du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui assure qu'il n'y a pas d'intervention militaire dans l'horizon politique libyen. «Nous sommes favorables à une solution politique», n'a-t-il cessé de répéter à partir de Rome. Mais... Scénario d'intervention «Personne ne pourrait croire les propos tenus par les responsables français. La stabilité et la pérennité du gouvernement Serraj ainsi que la réduction du pouvoir de Daech en Libye ne sont possibles qu'avec une intervention étrangère», pense le politologue libyen Ezzeddine Aguil qui s'interroge néanmoins sur les chances réelles du gouvernement de Serraj de s'installer à Tripoli. «Le scénario envisagé par les Etats-Unis, c'est d'installer, d'abord, le gouvernement de Fayez Serraj à Tripoli. C'est ce dernier qui demanderait l'intervention étrangère pour couper les ailes à Daech. Mais les résistances sont fortes à l'installation de Serraj à Tripoli», dit Aguil avec inquiétude. Les mêmes réserves sont exprimées par l'ex-membre du Conseil national de transition, l'universitaire Mansour Haouam. Dans l'Ouest libyen, explique-t-il, les forces armées régulières sont sous l'autorité des milices, aussi bien pour les unités de Misrata (bouclier du centre) que pour celles de Zentane (les bataillons Kaakaa et 32 renforcé), sans parler des unités d'El Moukatila sous l'autorité de Abdelhakim Belhaj et Mehdi Harati, les deux ex-lieutenants de Oussama Ben Laden, qui essaient désormais de se forger des statuts civils. «Il n'y a donc pas de noyau organisé d'une armée régulière», avertit l'universitaire, inquiet sur les chances d'une installation rapide de Serraj à Tripoli. «Il n'y a apparemment que le mal nécessaire du retour d'une coalition sur le terrain des troupes de Misrata et Zentane pour installer Serraj à Tripoli», lance-t-il, perplexe. «Une telle option n'est pas gagnée d'avance, vu l'indiscipline des différentes milices réparties dans la capitale libyenne», poursuit l'universitaire. Et les politiques ? La polémique qui a accompagné la visite de Serraj, samedi dernier, au quartier général de Khalifa Haftar à El Marj dans l'Est libyen résume la crise politique qui secoue ce pays. Le chef du gouvernement de réconciliation nationale est accusé d'enfreindre les limites des ses attributions, en rencontrant un «hors-la-loi», selon plusieurs parmi les dirigeants politiques de l'Ouest. Le député de Misrata, nominé à la présidence du Conseil de l'Etat mais toujours attaché au boycottage, Abderrahmane Souihli, a demandé à Serraj de démissionner suite à cette rencontre. Le maintien du général Haftar à la tête de l'armée constitue le principal point de divergence entre l'Est et l'Ouest libyens. En avalisant l'accord de Skhirat, la semaine dernière, le Parlement de Tobrouk a émis des réserves sur l'article 8 de cet accord, relatif à l'autorité de nomination du commandement général de l'armée. L'Est veut que cette attribution revienne au Parlement. L'Ouest veut qu'elle soit du ressort du Conseil de la présidence du gouvernement. Haftar est rejeté par les premiers. Son maintien constitue une ligne rouge pour les seconds. La venue de Serraj à El Marj s'intègre dans la recherche d'une «solution acceptable» par tous les intervenants. «Le chef du gouvernement semble de plus en plus convaincu, surtout après ses passages au Caire, Rome et Alger, que Haftar est incontournable dans le rétablissement de l'autorité de l'Etat sur toute la Libye», pense le politologue Ezzeddine Aguil. «Serraj et Kobler ont présenté cette rencontre comme faisant partie de l'écoute continue de tout le monde, en vue de parvenir à une réconciliation globale», ajoute le politologue. Mais toute la problématique oscille maintenant, selon tous les observateurs, entre les limites des concessions de Tripoli en faveur de Haftar et celles de ce dernier dans son rapport au commandement général de l'armée. «A la faveur de Haftar le fait qu'il soit l'unique parmi les forces militaires en place à disposer d'un noyau solide d'une véritable armée régulière. Même l'envoyé spécial de l'ONU, Martin Kobler, reconnaît cela en privé. En défaveur de Haftar les susceptibilités tribales et régionales résultant de près de deux ans de guerre civile», constate l'universitaire Haouam. «Pour arriver là où nous sommes aujourd'hui, les Libyens sont passés par des situations beaucoup plus complexes, ils sauront trouver la bonne solution pour la question du commandement de l'armée», poursuit-il. «Le vrai problème, c'est plutôt comment s'opposer à la montée de Daech sans de nouvelles effusions de sang ?» conclut-il, perplexe.