Dans ces contreforts du Djurdjura, les distances se calculent en degrés de pente et en chemins escarpés. Rejoindre des villages nichés sur des pitons rocheux ou en descendre pour aller à l'école s'assimile à une corvée. Seraient-ils à ce point masochistes nos jeunes montagnards ? Ce n'est pas l'impression qu'ils donnent à les voir se bousculer au portillon de la demi-pension. Leurs parents ne partagent pas leur avis. Saignés à blanc par les dépenses quotidiennes du transport, ils souhaitent les voir intégrer la pension complète. Au finish, c'est à un véritable casse-tête chinois auquel est confrontée l'administration de cet établissement. Une demande qui explose pour les places à la cantine de midi et des dortoirs vides pour les places en internat. A ce jour, le nombre d'inscrits n'avoisine même pas le quart de la capacité totale. Les temps ont drôlement changé. Les générations de collégiens et de lycéens des belles années de l'école algérienne (années 1960-1970) se mettaient un point d'honneur à devenir internes dès la sixième. C'était la double garantie du sérieux dans les études et de la réussite. La vie en internat était réglée de façon à ne pas laisser un quelconque temps mort. La journée était bien chargée, toute orientée vers les études et les loisirs d'appoint. Il faut dire que ce n'était pas la prison. La pratique sportive et les activités artistiques battaient leur plein : sports collectifs, théâtre, troupes musicales, etc. Ils sont nombreux les artistes et les sportifs de talent à avoir cultivé leur vocation au cours de ces moments de jeunesse passés en internat. Les élèves y apprenaient la vie de groupe et pratiquaient les valeurs que la société faisait siennes. La camaraderie se forgeait dans la solidarité et l'entraide. La mixité sociale gommait les inégalités. Les bases du succès se construisaient patiemment au cours des séances d'étude le soir et tôt le matin, avant le petit-déjeuner pour les classes d'examen. Les tire-au-flanc s'exposaient à la rigueur du règlement (la consigne du week-end) ou à la désapprobation des camarades. L'autodiscipline était encouragée par les éducateurs. Au palmarès des établissements, ceux qui avaient un internat trustaient les premières places. Ils étaient courus par les parents soucieux de l'avenir de leurs enfants. Combien de fois n'a-t-on pas vu un élève rejoindre un établissement situé à des centaines de kilomètres de son domicile parce que ses parents ont voulu le placer en internat. Un adolescent de Laghouat dans un lycée de Tizi Ouzou, un Relizanais à Alger : c'était monnaie courante. Le fines bouches ne verront pas d'un bon œil ce rappel nostalgique. Ils vous rétorqueront que la modernité est passée par là. Pourtant, ce mode de scolarité revient au-devant de la scène dans les pays modernes. Les spécialistes et les parents le préconisent comme paravent à la déliquescence des mœurs et au décrochage scolaire. Les attraits de la vie trépidante avec ses loisirs abêtissants ont fini par déboussoler les jeunes et à les détourner des études. La discipline familiale elle-même a perdu de son aura. La vie en internat est perçue, à juste titre, en tant qu'espace où s'acquiert la maturité et se dessine le profil du futur adulte. De nos jours, les moyens existent pour transformer nos internats en lieux de vie intense où se conjuguent études et loisirs sains. Il ne sert à rien de critiquer ce mode de vie scolaire au motif qu'il véhicule des images des siècles passés. Ses avantages pèsent lourd dans la balance du devenir de l'adolescent. Des inconvénients restés dans les mémoires, ne subsiste que la misère matérielle des établissements, superbement comblée par l'amour et la bienveillance des éducateurs de l'époque. Se peut-il que cette race ait déserté notre système éducatif ? Les signes de richesse s'accumulent dans notre pays. Les établissements à internat doivent en profiter et rendre ainsi agréable la vie des pensionnaires : l'internet, le foyer, la bibliothèque, les équipements sportifs, les clubs artistiques. Ces espaces vont stimuler la vie en collectivité et réconcilier l'adolescent avec le sens d'une scolarité portée par l'ambition de la réussite. Quelque part, la désaffection des élèves à l'égard de l'internat s'explique par celle, plus grave, des adultes. Ces derniers ont oublié ce passage initiatique vers leur vie d'adulte qui leur a ouvert la voie de la réussite sociale. Mais combien sont-ils à avoir connu ces délicieux moments de jeunesse et qui restent encore actifs dans la sphère éducative ?