Inauguration d'un centre pour la Protection civile, lancement des cartes d'identité nationale biométriques, réunion avec les militaires... Au début de la semaine, Noureddine Bedoui, le ministre de l'Intérieur, s'est rendu à Tamanrasset, In Salah et In Guezzam. El Watan Week-end était dans l'avion. La dernière fois qu'il s'était rendu dans le Sud, le ministre de l'Intérieur avait demandé à ceux qui lui avaient tendu un verre de lait : «Mais pourquoi pas du lait de chamelle ?» Alors évidemment, ce dimanche, quand Noureddine Bedoui est descendu de l'avion après quatre heures de vol, wali, députés et sénateurs de la région l'attendaient avec des dattes et un verre de lait… de chamelle. A l'entrée du salon d'honneur, une vingtaine de danseurs traditionnels l'ont aussi accueilli sur fond de chants terguis, pendant que sur le parking, un jeune adossé au mur soufflait après avoir terminé in extremis de repeindre les murs de l'aérodrome. «Je ne peux pas expliquer mon ressenti, mais je vous avoue que me sens toujours bien quand je suis ici», lance Noureddine Bedoui. Aller vers les gens – le protocole a pour consigne de ne pas intervenir – saluer, demander des nouvelles, parler avec les enfants et les saluer à la façon des rappeurs : à 57 ans, le ministre de l'Intérieur (depuis mai 2015) né à Aïn Taya mais originaire de Ouargla, est à l'aise dans ce genre de mission. «Bedoui est un fils du peuple. Il est d'une simplicité incroyable. Vous allez le constater par vous-même», avance Yacine Belkheir Touer, son chargé de communication, lui aussi du voyage. Son seul handicap : ici, à presque 2000 kilomètres de la rue Docteur Saâdane, personne ne sait vraiment qui il est. Les enfants avec qui ils discute, eux, restent perplexes. Certains en sont sûrs, «c'est Abdelmalek Sellal !» ; d'autres, se fiant à la pancarte «Jeunesse» accrochée sur la façade de l'établissement, préfèrent en déduire qu'il s'agit du ministre de la Jeunesse et des sports. Ses services lui ont concocté un programme chargé. Au menu : Tamanrasset, In Salah et In Guezzam. Ambulances Lors de l'inauguration du siège de la Protection civile, le ministre de l'Intérieur annonce la naissance de la Délégation nationale de la sécurité routière. Un nouvel organisme qui aura pour mission «la mise en place d'une stratégie nationale afin de faire face à la violence routière après l'aggravation préoccupante du phénomène en Algérie». Une occasion pour les responsables de lui faire part des manquements. N. Bedoui ordonne dans la foulée l'achat de cinq ambulances de type 4x4 afin de faciliter les déplacements des pompiers dans cette région où l'on parcourt des centaines de kilomètres pour atteindre le village voisin. Tamazight Etape suivante : le nouveau pôle universitaire de 1000 places pédagogiques et la nouvelle cité estudiantine de 1000 lits. Djebbar Sediri, le superviseur du chantier, un trentenaire, hésitant entre le français et l'arabe attire l'attention du ministre qui lui demande de choisir sa langue : arabe ou tamazight, une occasion pour Bedoui de saluer la nouvelle Constitution algérienne. Originaire de Tizi Ouzou, son interlocuteur décide donc de parler en kabyle. Finalement, le ministre interviendra une autre fois pour lui demander de mélanger les deux langues afin qu'il comprenne, et poursuit la discussion en français. Sur le chemin du retour, les journalistes locaux reviennent sur les sites visités et font leur propre bilan : «C'est la wilaya qui s'occupe du programme de la visite. Ils n'ont rien à proposer au ministre à part ces projets qui datent de plusieurs années et qui ne sont pas encore terminés. Certains ont même déjà été inaugurés à plusieurs reprises par différents responsables ! C'est une arnaque. Le pire, c'est qu'ils lui mentent à propos des dates de lancement de peur d'être sanctionnés pour le retard...» A Tamanrasset, la circulation a été arrêtée pour laisser la route libre au ministre. Le convoi dirigé par le chef du protocole du wali prend même à contresens une rue de la ville. Un journaliste local s'indigne et raconte les préparatifs de cette visite : «Des travaux ont été entamés précipitamment dont certains n'ont même pas été achevés. Les responsables ont choisi cet itinéraire pour empêcher le ministre de voir une rue voisine, inondée par les eaux usées, après avoir tenté de la revêtir en goudron.» La plupart des habitants ne voient de la visite de Bedoui que son convoi qui soulève un nuage de sable. C'est exactement le cas à In Guezzam. Nous sommes à quelques kilomètres seulement de la frontière avec le Niger. Si la misère avait une langue, elle aurait certainement passé des jours et des nuits à expliquer au ministre de l'Intérieur combien souffrent les habitants oubliés de l'extrême Sud algérien. Les femmes, assises par terre, accueillent le ministre avec les chants tindi. Un enfant accroché à l'épaule de sa mère rappelle les images de famine dans la Corne de l'Afrique. Les mouches agglutinées sur le visage, il semble égaré dans cette foule venue de nulle part. Une dizaine d'hommes à dos de chameau accompagnent les chants des femmes en paradant devant le ministre. In guezzam Abelkou Chourit, 36 ans, partisan du RND, est Bédouin, originaire d'In Guezzam. Père de quatre enfants, il raconte : «Les projets de l'Etat ne figurent que sur le papier. Nous sommes une région oubliée. Pour qu'un wali délégué prenne une décision ici, il faut qu'il consulte le wali de Tamanrasset. Alors oui, on nous parle de décentralisation mais je ne la vois pas.» Ce point a déjà été discuté à Tamanrasset. «Contrairement à l'Algérie, peu de pays au monde accordent de l'intérêt à la question de la décentralisation des pouvoirs. Nous concernant, nous avons décidé d'élargir le pouvoir des assemblées de wilaya», assure le ministre. «Les responsables déplorent le manque de diplômés dans le Sud, mais oublient que nous vivons dans une région d'éleveurs. Notre seul fond d'investissement, c'est notre bétail. Nous sommes tous pauvres ici, nous n'avons même pas les moyens d'envoyer nos enfants étudier ailleurs», rappelle encore Abelkou. Abidine, 16 ans, casquette à l'envers, est en troisième année moyenne dans le seul CEM d'In Guezzam. Alors qu'il lui reste encore une année à faire avant l'examen, Abidine rêve déjà d'aller au lycée. Sauf qu'à In Guezzam, il n'y a pas de lycée. «Je serai obligé de faire 400 km pour étudier à Tamanrasset», se désole-t-il. Un habitant explique que les moyens et les distances sont les principaux obstacles à la réussite des élèves. «1% seulement des élèves parviennent au lycée», déplore-t-il. Lors de sa rencontre avec la société civile, le ministre, qui a écouté toutes les doléances, a promis des solutions. «Nous allons prendre en charge toutes vos demandes. Je vous promets, en mon nom, que si les différents ministères ne trouvent pas de fonds, je ferai appel à la caisse de solidarité», insiste-t-il sous les applaudissements. Sans-papiers Les rendez-vous se succèdent. Le ministre lance officiellement le service des cartes nationales d'identité biométriques dans la wilaya, et déclare que les bacheliers seront prioritaires. «Nous allons fournir près d'un million de cartes biométriques, assure Bedoui. Nous avons plus de 33 millions de demandes. Ceux qui ont un passeport biométrique n'ont aucun dossier à fournir pour l'obtention d'une carte d'identité. Les autres devront attendre quatre ans...» Mohamed El Taoudji, président de la cellule des éleveurs du bétail, a été délégué par les nomades pour parler de leurs problèmes : «Ici, il n'y a que des nomades. La plupart d'entre eux sont nés dans le désert et ne sont reconnus ni par le Mali, ni par l'Algérie, ni par le Niger. Avant, ils partaient voir le consul d'Algérie au Niger, mais il n'est plus là. Quel est donc le sort réservé à ces 4000 nomades sans papiers ?» Arrivé dans l'après-midi à In Salah, le ministre de l'Intérieur a surtout parlé d'agriculture et a annoncé le lancement prochain d'un projet d'exploitation des énergies renouvelables dans la région : «Nous allons installer ici une commission d'experts qui vont étudier le projet de l'exploitation des énergies renouvelables. Vous avez une jeunesse consciente des enjeux, du soleil et des terres. Tout pour relancer le secteur économique d'In Salah.» Si les habitants du Sud placent beaucoup d'espoir dans la visite de Noureddine Bedoui, accueilli à bras ouverts, le ministre, pour sa part, n'a pas plus caché ses attentes. Il n'a pas arrêté de rappeler l'importance de la «sécurité», un sujet éminemment stratégique. Un conseil sécuritaire restreint, interdit aux députés et sénateurs, a d'ailleurs été organisé à la Région militaire de Tamanrasset. A chaque débat avec la société civile, le ministre écoute et n'oublie pas de marteler qu'il ne peut «avoir de stabilité sans sécurité». Il encourage aussi les jeunes à «prendre en main leur destin» et à «compter sur eux-mêmes afin de participer au développement local de leur région». A Tamanrasset, le ministre, qui s'est dirigé vers une nouvelle usine de laiterie, achevée mais encore non fonctionnelle, n'a pas manqué de rebondir sur son sujet favori ; au directeur qui se plaignait de ne pas avoir «de lait en poudre, sayidi el wazir», la réponse était toute trouvée : «Aidez les éleveurs de chamelles et vous aurez du lait local.»