Le périple du ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales dans le sud du pays a mis en exergue trois importantes problématiques, à savoir le développement local, la sécurité des frontières et les énergies renouvelables. Noureddine Bedoui l'a démontré mardi dernier lorsqu'il a rendu visite à la wilaya déléguée d'In Salah après une halte dans celle d'In Guezzam et avant, dans la wilaya de Tamanrasset. La priorité a été accordée à la sécurité des frontières en alerte maximale, notamment depuis que les plus hauts responsables américains ont fait part de leurs intentions de dupliquer la guerre qu'ils ont déclenchée en Irak pour la transporter en Libye. Les conséquences effraient l'Algérie avant même qu'elles ne se produisent. Les éclats d'obus et des bombardements de leurs avions sophistiqués traverseront, sans doute, les frontières aussi longues soient-elles. L'appel du ministre de l'Intérieur «à tous les Algériens» de rester vigilants et d'aider «notre armée et nos services de sécurité à les sécuriser et par là, à préserver la paix dans le pays, a été entendu comme étant une alarme stridente «pour réveiller les consciences de leur insouciance» Ceci étant dit, il est clair que Bedoui a été chargé par le gouvernement pour fouetter le développement local à travers le territoire national. Crise financière oblige, il doit user de tous ses arguments pour convaincre des régions jusque-là quasiment oubliées, de croire en «la volonté et la sincérité» du gouvernement de les inclure dans «sa vision» d'un développement «équilibré entre les zones et consacrant des droits économiques et sociaux équitables entre l'ensemble des populations du pays». Les habitants du Sud aimeraient bien le croire quand il leur fait savoir que «nous étudions les besoins de toutes les régions et veillons à assurer un équilibre entre elles en matière de développement et de priorités». Et même quand il précise, à partir d'In Guezzam, que «cette attention pour le développement des régions du Sud ne date pas d'aujourd'hui mais le président de la République en a fait une décision en 2004». Mais quand il reconnaît en tant que membre du gouvernement que des projets ont été gelés dans des régions éloignées -certainement en raison de la crise financière que subit le pays depuis la chute drastique du prix du pétrole, ceci, même s'il ne le dit pas-, l'on s'interroge sur les critères que les responsables se sont fixés pour le faire, au regard des conditions de vie détestables de leurs populations. A moins que ce soit le ministre des Finances qui a jugé que les projets gelés se trouvaient «à la périphérie de l'économie donc sans importance», comme il l'avait déclaré devant une réunion d'experts. QUAND L'ETAT RENIE DES DROITS ELEMENTAIRES Le ministre de l'Intérieur a regretté par une exclamation qu'In Guezzam n'a jamais eu de lycée à part celui qui est en construction actuellement. «C'est un déni de savoir ! Et de justice !» s'insurge un universitaire. L'Etat a ainsi renié le droit au savoir à des habitants dont les voix ne portent pas tant leurs échos se perdent dans les immensités désertiques. L'on a appris sur place, qu'une fois les enfants d'In Guezzam passent au cycle secondaire, ils sont obligés de se déplacer à Tamanrasset pour s'inscrire au lycée. Ils le font dans des conditions lamentables les obligeant à traverser une distance de plus de 400 km dont une partie n'est pas aménagée. In Guezzam n'a pas d'hôpital, ni de médecins, ni de médicaments, ni de transports, ni de réseaux routiers. Et elle n'est pas la seule région à être dépourvue des moyens les plus élémentaires pour une vie quelque peu décente. Quand le président de la République avait décidé «de développer» les Hauts-Plateaux et le Sud, il était question d'en puiser les ressources financières dans le fonds créé et réservé à ces régions. Cependant, à aucun moment, le ministre de l'Intérieur n'en a parlé. Par contre, il a mis toute son énergie pour expliquer les valeurs de la solidarité nationale et qui obligent le gouvernement à donner corps à la décision de Bouteflika en utilisant les ressources de la Caisse de caution et de solidarité des collectivités locales appelée avant, Fonds des collectivités locales. L'on ne saura pas le poids de la dotation financière de cette caisse mais à entendre le ministre en parler, l'on pense qu'il est assez important. Il a en tout cas promis aux habitants d'In Guezzam de leur réaliser l'hôpital de 60 lits dont ils rêvent avec l'argent de cette caisse. Pas seulement. Il a affirmé que les communes qui veulent avoir des prêts pour réaliser leurs programmes de développement peuvent les demander auprès de cette caisse. Prêts «sans intérêts», assure Bedoui, «mais que les communes se doivent de rembourser une fois leurs projets réalisés et devenus opérationnels». L'on nous affirme que le ministère de l'Intérieur a puisé dans cette caisse pour débloquer un grand pactole à ces régions. On peut comprendre alors que le gouvernement n'est pas en train de racler les fonds de caisses de l'Etat comme l'avancent des experts. A moins qu'il se soit trouvé dans l'obligation de se rabattre sur les économies du pays, ces bas de laine qu'il a empilés et cachés pendant les périodes fastes de la rente. Ce serait une solution miracle et même intelligente s'il l'a véritablement fait. Cela signifierait qu'il a quelque peu et pour une fois, su anticiper les événements UN DELEGUE LOCAL POUR DEVELOPPER LES ENERGIES RENOUVELABLES Le ministre de l'Intérieur n'a en principe plus le choix de reculer. Il s'est trop engagé devant les populations en leur assurant qu'il prendra en charge leurs préoccupations qui sont nombreuses. Ces régions n'ont rien à part des territoires infiniment grands et totalement ensablés y compris les endroits aménagés. Ces derniers jours, seule la quarantaine des «4x4» flambant neufs qui faisaient fonction de cortège officiel à la délégation du ministre, brillaient au soleil tapant de ces immenses territoires et troublant la sérénité de leurs habitants habitués à écouter le silence et à contempler les étendues de sable pour en deviner les horizons. Au-delà de son évocation insistante de cette caisse-trésor des collectivités locales, le ministre de l'Intérieur a fait une véritable révélation à laquelle l'assistance d'In Salah ne s'attendait pas. Pour toute réponse à leurs nombreuses doléances, Bedoui les a appelé à (s)'investir dans les énergies renouvelables. «In Salah est un véritable réservoir de l'énergie solaire», a-t-il affirmé. Il leur a même assuré que «j'ai demandé au wali délégué de désigner un délégué pour se charger du dossier des énergies renouvelables». Délégué qui sera chargé, selon lui, de prendre attache avec la direction de la recherche scientifique auprès du ministère de l'Enseignement supérieur, aux fins d'examiner minutieusement les moyens et les techniques pour développer notamment l'énergie solaire dans la région. «Je suis sûr qu'ici, à In Salah, il existe des personnes qui ont étudié l'énergie solaire et qui peuvent la mettre au service de son développement, vous n'aurez plus à demander à l'Etat de vous réaliser des réseaux d'électricité», a-t-il dit mardi dernier à l'assistance. In Salah est connu pour abriter le coin le plus chaud au monde, un lieu-dit Aïn El Kahla, loin de près de 200 km. La nature a donc toujours fait de cette région «un réservoir de l'énergie solaire». Le gouvernement semble n'en être pas conscient dans la mesure où c'est pour la première fois qu'un de ses membres insiste fortement sur le développement de cette énergie. D'ailleurs, de prime abord, l'on peut penser que le discours de Bedoui au Sud est en net décalage avec celui du gouvernement dans son ensemble qui est coincé sur le mode «économie diversifiée en remplacement de celle rentière» sans pour autant en expliquer la stratégie et les techniques pour sa réalisation. EXORCISER LES DEMONS DE LA FITNA Le plus important est que le développement des énergies renouvelables ne peut être abordé au détour d'une visite et mis entre les mains «d'un délégué» local qui plus est devra monter sur Alger pour en débattre avec la recherche scientifique. Le ministre de l'Intérieur doit savoir qu'un tel dossier doit être inscrit comme prioritaire dans le programme d'action du gouvernement non sans avoir au préalable bénéficié d'une forte volonté politique et d'une ferme résolution du plus haut sommet de l'Etat. Il doit être un choix stratégique, déterminé, et déterminant pour l'élaboration des politiques publiques, notamment dans une conjoncture où la monnaie nationale manque tout en étant traînée dans les squares. Une économie diversifiée tant voulue par les gouvernants se doit de s'appuyer sur ces énergies pour pouvoir se détacher totalement de la rente pétrolière. Il est clair que si Bedoui a choisi d'aborder ce sujet expressément à In Salah, c'est, en évidence, pour exorciser les démons de la fitna qui ont agi dangereusement au sein des habitants de cette région en les poussant, il y a plusieurs mois de cela, à se révolter contre l'exploitation du gaz de schiste décidée par le gouvernement. Que devient le mouvement de cette contestation ? avions-nous demandé à un cadre à In Salah. «Le calme est revenu et les gens se sont calmés, même si on sait que l'exploitation du gaz de schiste est en train d'être menée,» nous a-t-il répondu. Pensez-vous que l'Etat puisse mettre en danger toute une population, en fracturant des roches avec le gros risque de polluer la nappe, sans état d'âme et sans aucun remords ? le questionne encore un autre journaliste. Pas de réponse. «A la limite, si ce pouvoir veut reconstituer sa rente (personnelle), il ne peut le faire en provoquant un génocide, il a bien d'autres moyens pour y arriver sans provoquer de dégâts irréparables et qui pourraient provoquer sa fin», ajoutons-nous. Rires CE TOURISME QUI FAIT HONTE A L'ALGERIE Le ministre de l'Intérieur a exhorté les habitants de Tamanrasset à «s'ouvrir» au tourisme parce que, avait-il dit, «la région a de grandes potentialités, elle doit les mettre en évidence, encourager le tourisme local et de là, celui aux étrangers, le vrai, parce que ceux qui viennent pour les fêtes de fin d'année, ce n'est pas du tourisme». La nature au Sud possède de grands atouts. Elle est belle, majestueuse et sereine. Elle a tout pour reposer des esprits brouillés par les embouteillages des villes du Nord et exténués par le vacarme de leurs cités-dortoirs. Mais aussi imposante soit-elle, la nature s'est résignée aux actes dévastateurs des humains. A Tamanrasset, elle s'est comme éclipsée à travers le dédale de l'hôtel Tahat dont les alcôves se dégradent au fil des temps et au vu et au su de toutes les autorités centrales et locales. Des chambres au décor repoussant, alignées tout au long de couloirs tapissés par une étoffe rouge inondée par l'eau sale de «nettoyage» des parterres, jusqu'à dégager une odeur de moisissure suffocante. L'on se rappelle tristement cet hôtel à Khenchela appartenant, dit-on, à un sénateur, dont les chambres dégagent des odeurs nauséabondes parce que les évacuations sont bouchées, sans eau chaude et une cuisine dont le fonctionnement nargue toutes les règles d'hygiène. Tout autant que les énergies renouvelables, le tourisme a besoin d'une volonté politique avérée pour devenir un secteur qui ne fera plus honte à l'Algérie.