Un mois après l'adoption de la nouvelle Constitution vantée à ne plus en finir pour son ouverture démocratique et ses attributions en matière de protection de la liberté d'expression, l'info tombe comme un couperet : le journaliste vedette du JT de Canal Algérie est débarqué de son poste pour avoir évoqué Bouteflika sans mentionner sa fonction de président de la République. La «négligence» ou la maladresse du journaliste qui possède son propre style de communication, comme tous les grands noms des animateurs de JT dans le monde, a été perçue par l'establishment politique comme une faute grave, voire un crime de lèse majesté qui méritait sanction à laquelle le directeur général de la Télévision publique a immédiatement réagi. Après donc des années de loyaux services et d'une conduite professionnelle irréprochable, l'auteur du délit est renvoyé comme un malpropre à ses classes avec une légèreté qu'il a due ressentir comme une profonde humiliation. Le fait qui a marqué l'actualité bien malgré lui prêterait à rire s'il ne portait pas en lui toute la suffisance d'un absolutisme doctrinal sur lequel les tenants du pouvoir n'ont aucune intention de transiger. Citer le nom ou le prénom du Président sans l'accompagner de son titre est considéré dans cette optique comme une familiarité inconvenante qui ne peut avoir sa place dans une «République» où le culte de la personnalité a dépassé tous les entendements. Même au temps de Boumediène où le régime se prévalait ouvertement, sous son étiquette de révolutionnaire, de son statut dictatorial, cette propension à la vénération du premier magistrat qui concentre en lui tous les pouvoirs constitutionnels a été moins perfide. En se cristallisant sur ce «détail» médiatique qui relève de l'anecdote alors que l'Algérie a tellement d'autres problèmes beaucoup plus épineux à résoudre, on se rend compte, en fait, qu'on n'a pas réellement avancé par rapport aux années démagogiques où la culture du zaïmisme avait primauté sur tout. Les temps semblent avoir drôlement changé, mais en pire, depuis l'arrivée de Bouteflika aux commandes puisque désormais un journaliste de la presse publique – écrite, parlée ou télévisée – doit faire attention à ses formules avec un soin particulier quand il exerce son métier. Et ce, alors même que ce journaliste pensait avoir obtenu une liberté de ton plus grande pour mieux se rapprocher de son lecteur, de son auditeur ou de son téléspectateur. En quoi le fait d'interpeller le président de la République par son nom constitue-t-il une atteinte à la réputation ou à la personnalité de ce dernier ? Insister sur cet impair qui n'en est pas un, c'est vouloir imposer à l'opinion une façon de réfléchir et de réagir qui nous renvoie aux années de plomb où sortir des rangs de la pensée unique était assimilé tout simplement à de la subversion. Ahmed Lahri est-il donc devenu hors norme dès lors qu'il a osé imprimer à son texte une façon bien à lui de rendre plus accessible l'info ? Le ridicule ne tuant plus depuis longtemps chez nous, on pourrait se poser la question de savoir ce que pensent de prestigieux chefs d'Etat dans le monde comme Barack Obama ou Mme Angela Merkel lorsque les journalistes de leurs pays les interpellent par leurs noms respectifs. Plus près de nous, François Hollande, qui n'a pas en ce moment une cote de popularité ascendante, ne s'est jamais senti offensé par les familiarités médiatiques auxquelles il se prête de bonne grâce. Selon les conseillers de ces Présidents qui ont d'autres chats à fouetter au lieu de se préoccuper de leur titre, le fait d'habituer l'opinion aux noms et prénoms est positif puisque cela permet d'instaurer dans les esprits une plus grande proximité et même une sorte de complicité qui réduit considérablement les distances. Dire Abdelaziz Bouteflika a fait ceci ou cela n'est en rien diffamant à la fonction présidentielle dans la mesure où celle-ci est induite déjà par son action, ni un manque de respect à sa personnalité qu'on a voulu inventer de toutes pièces pour brimer une profession déjà très mal au point. En vérité, la différence d'approche est criarde à partir d'un pays démocratique où les personnalités les plus hautes sont brocardées par le jeu de la dérision dans des émissions grand public sans que cela ne fasse scandale. Il n'y a que dans les sociétés arriérées, sous développées, ou complètement fermées comme la Corée du Nord, où l'on continue à cultiver, par divers traitements de répression, le culte de la personnalité comme signe irréfragable d'autorité et de puissance, alors qu'en réalité c'est celui de la faiblesse vis-à-vis des vraies compétences qui est mal dissimulé. Dans l'Algérie des formules de politesse pour le moins obséquieuses qui cachent une énorme hypocrisie, il y a forcément la médaille et son revers. Adulé, vénéré, l'allégeance au chef n'a plus de limites dans un système où l'alignement est obligatoire. Alignement, c'est le traître mot de la conjoncture. Pourquoi croyez-vous qu'au lieu de prendre la défense du journaliste de Canal Algérie le ministre de la Communication, si prompt à protéger l'éthique, a tout fait pour l'enfoncer encore davantage alors qu'il sait pertinemment qu'il n'y a aucun manquement professionnel ? Pourquoi croyez-vous que Amar Ghoul se renie publiquement aujourd'hui en s'attaquant de manière peu courtoise à l'ancien patron du DRS déchu alors qu'il ne tarissait pas d'éloges sur lui il n'y a pas si longtemps ? Pourquoi croyez-vous que le RND et le FLN s'offrent en spectacle en faisant des révélations que tout le monde connaît sur les fraudes à grande échelle que les deux partis ont commises aux élections législatives de 1997 et 2002 ? C'est, on vous le dit, le temps des positionnements calculés en fonction des échéances à venir. Il y a ceux qui veulent rester au gouvernement. Il y a ceux qui ont une vision bien plus lointaine sous la vénérable bénédiction de fakhamatouhou…