On n'en saura toujours rien sur cette lancinante question de savoir qui bloque les réformes économiques en Algérie. Au-delà du constat largement partagé sur les difficultés à faire démarrer les grands chantiers des réformes économiques telles que les réformes du système financier et bancaire et le très controversé dossier de la privatisation annoncé à grand renfort de publicité depuis quelques années, mais remisés à ce jour encore au placard, il est pathétique que l'on se retrouve aujourd'hui à deviser sur la nécessité des réformes et leurs enjeux pour le pays au moment où l'on aurait dû logiquement commencer déjà à récolter les premiers fruits. Les accusations que l'on se jette à la face au détour de déclarations assassines comme celles du patron de la centrale syndicale, Abdelmadjid Sidi-Saïd, qui accusait sans autre précision des forces au sein de l'appareil de l'Etat de bloquer les réformes, transforment le débat sur les réformes en un vil procès en sorcellerie. Dans la quête d'un ou des coupables , tout le monde est passé sur le gril. Y compris le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, sur lequel on n'a pas hésité à pointer le doigt en le présentant comme le digne représentant du courant conservateur par rapport au courant ultralibéral emmené par les hommes du Président au sein de l'Exécutif, avec à leur tête le ministre de l'Economie, M. Abdelatif Benachenou, et le ministre de l'Energie, M. Chakib Khelil. Quelle est la part de la réalité et celle de l'affabulation et du règlement de compte politique dans ce genre de commentaires qui alimentent les débats autour de la lenteur dans la mise en œuvre des réformes ? Lors du Conseil des ministres de ce lundi, le président Bouteflika a levé un coin du voile épais qui enveloppe le dossier des réformes en reconnaissant l'existence de forces d'inertie et d'îlots de conservatisme qui entravent la dynamique des réformes. En évoquant explicitement deux textes de lois - le foncier et les hydrocarbures - qui constituent avec d'autres secteurs éligibles à la privatisation la clé de voûte des réformes envisagées, le président de la République a clairement identifié les forces qui empêchent de son point de vue l'économie algérienne d'amorcer son décollage. Le mot est en effet sèchement lâché : logique rentière. L'allusion du président de la République n'en est que plus claire. Elle s'adresse aux forces qui se sont opposées aux lois citées et qui le font encore avec beaucoup de bruit aujourd'hui que le dossier, notamment la loi sur les hydrocarbures, est remis sur le tapis. L'UGTA, qui est montée au créneau ces derniers jours en ne reconnaissant aucune autorité dans la conduite des réformes envisagées dans ce secteur autre que celle du chef du gouvernement considéré comme le seul interlocuteur du syndicat renvoyant ainsi le ministre de l'Energie, M. Chakib Khelil, à ses derricks, devrait désormais avoir une idée un peu plus précise sur les intentions réelles des pouvoirs publics sur le contenu de la loi sur les hydrocarbures. Bouteflika a en effet tranché dans le vif du sujet au dernier Conseil des ministres en confirmant de la manière la plus officielle ce que Chakib Khelil soutenait en début de semaine, à savoir que la loi sur les hydrocarbures ne sera pas retirée et sera bien soumise au Parlement comme prévu ; une déclaration qui avait soulevé l'ire des dirigeants de l'UGTA. Pour mieux situer les responsabilités, le président de la République a jugé nécessaire d'instruire le gouvernement pour mettre en œuvre cette feuille de route. Ahmed Ouyahia avait jusqu'ici le mauvais rôle en tant qu'interface direct de la société, sommé d'affronter le syndicat et les autres forces sociales et politiques sur des réformes qui sont loin de faire le consensus de par le coût social induit. La réaffirmation par le président Bouteflika devant le Conseil des ministres de son attachement au programme des réformes tracé et de la nécessité de passer rapidement à la phase de sa concrétisation lui donne désormais carte blanche pour vaincre toutes les résistances qui se dressent sur la voie des réformes. Le signal politique étant donné ou rappelé, il appartient désormais à l'Exécutif de le traduire rapidement sur le terrain. Avec l'implication directe du président de la République dans un débat qui partait dans tous les sens tant la vision des réformes au sommet de l'Etat péchait par un manque manifeste de lisibilité, Ouyahia devrait avoir les coudées franches pour accélérer le processus des réformes. L'hypothèque politique étant désormais théoriquement levée avec la dernière sortie de Bouteflika au Conseil des ministres, Ouyahia est désormais seul comptable de la réussite ou de l'échec de ce processus.