L'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, est rentré en Algérie, jeudi après-midi, en provenance de Paris (France). L'homme a, même, eu doit à un accueil officiel au niveau de l'aéroport Es Sénia d'Oran de la part du wali, Abdelghani Zaalane, qui s'est entretenu avec lui, comme le montrent les vidéos des chaînes de télévision. Cette information-surprise a vite fait le tour du pays. Et elle continuait de susciter, hier encore, commentaires et interrogations. Responsables de parti politique, juristes, activistes spécialisés dans la lutte contre la corruption et internautes s'interrogent et analysent la portée de ce retour triomphal de celui contre qui la justice algérienne s'était mobilisée il y a quelques années. Chakib Khelil a-t-il été blanchi avant même de passer devant un juge ? Pourquoi est-il revenu ? Quel impact aura son retour sur l'image de la justice algérienne ? Pour l'avocat Khaled Bourayou, cette affaire prouve encore que «l'indépendance de la justice en Algérie est un leurre». «Je pense qu'il ne faut pas sacrifier l'essentiel à l'événementiel. Il n'y a pas une problématique de justice en Algérie mais une problématique politique ; il y a une situation inédite où un homme, sous mandat d'arrêt international, a été reçu par le wali. Cela donne une inculpation judiciaire et un non-lieu politique», déclare-t-il. Selon lui, «cette situation est anormale». «La justice est instrumentalisée. Le paradoxe est qu'il y a un homme avec une inculpation qui rentre librement en Algérie, alors qu'un général qui a fait des déclarations dans la presse est détenu depuis 5 mois sans être entendu. Il y a là, fondamentalement, un problème de justice. Cette affaire où la justice est discréditée aujourd'hui et fondamentalement une affaire politique», explique-t-il, précisant que la justice «est devenue l'enjeu d'une lutte entre deux clans». «Et le clan perdant est en train de payer aujourd'hui», lance-t-il. Pour Me Bourayou, «si on suit cette logique, Khelil est en droit de se retourner contre la justice». «C'est anormal. La justice est instrumentalisée. Car en principe, c'est à la justice qui ouvre un dossier de décider de le fermer. Ce n'est pas le cas dans cette affaire», s'indigne-t-il, en concluant que «la nature du système est incompatible avec la justice et l'Etat de droit». Quid de l'affaire Saipem en Italie ? De son côté, le porte-parole de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), Djilali Hadjadj, estime que «le retour de Chakib Khelil n'est pas une surprise». «Il est dans l'ordre des choses programmées par le pouvoir en place. Maintenant, il reste au pouvoir des puissants du moment de le blanchir du côté de l'affaire Saipem en Italie. Pour le moment, du côté des juges de Milan, il est seulement cité. Mais la dernière mesure prise par la Cour suprême italienne, qui a décidé de réimpliquer l'ex-PDG de l'ENI, risque de ‘‘salir'' Chakib Khelil», dit-il, rappelant que «le procès de Milan reprendra lundi prochain, 21 mars». Selon lui, l'opération «sauver le soldat Khelil» est en œuvre avec «le soutien et la complicité du gouvernement Obama qui n'a cessé de protéger ses ressortissants, surtout Chakib Khelil». «Obama le remet en mission sur le terrain algérien. Cela va au-delà des grandes affaires de corruption. C'est un projet de mise sous tutelle américaine de l'Algérie. C'est donc beaucoup plus grave. Les Etats-Unis veulent reproduire le même scénario ayant conduit à la mise sous leur tutelle des monarchies de Golfe», pense-t-il. Et cela, ajoute-t-il, passe par l'intronisation «du duo Saïd Bouteflika-Chakib Khelil à la place du frère aîné malade». «Chakib Khelil est l'homme des Américains pour des intérêts géostratégiques pour 2017-2019», soutient-il. «La justice et le justiciable Khelil» Les partis politiques réagissent aussi à cette nouvelle et déplorent «un discrédit des institutions de la République». Ils interpellent ainsi la justice pour traiter, sans injonction, le cas du «justiciable Khelil». «Chakib Khelil est en Algérie et c'est une bonne nouvelle pour la justice et les Algériens. Le retour de Chakib Khelil devrait être normalement quelque chose de positif dans un pays où la justice devrait chercher à éclairer l'opinion sur des affaires ayant éclaboussé un département ministériel géré pendant des années par ce dernier», souligne Atmane Mazouz, chargé de communication au RCD. Son retour au pays, enchaîne-t-il, interpelle en premier lieu ceux qui l'ont le plus souvent accusé ou protégé. «Mais cette affaire doit, en priorité, laisser place à la justice et à l'éclosion de la vérité sur des questions liées à des soupçons d'atteinte à l'économie nationale. On saura enfin s'il y a volonté d'aller au fond des choses, si l'épisode Sonatrach sera traité en profondeur ou non et ainsi pouvoir analyser les véritables motivations de ceux qui se cachent derrière les dossiers Sonatrach», indique-t-il, en espérant que «la justice ne soit pas sacrifiée sur l'autel des règlements de comptes entre les différents clans». «Chakib Khelil est un justiciable comme tous les citoyens et il ne doit pas être au-dessus des lois ou servir de bouc émissaire», rappelle-t-il. Le président du mouvement Ennahda, Mohamed Dhouibi, a estimé, lors d'un meeting animé à M'sila, que le retour de Chakib Khelil «ébranle les fondements de l'Etat algérien qui n'a pas respecté les principes de la justice ne serait-ce que sur le plan de la forme». «Il remet en cause le discours officiel sur l'indépendance de la justice et constitue une provocation à l'égard du peuple algérien qui n'aspire qu'à un travail objectif de la justice, seule habilitée à innocenter les innocents et à condamner les coupables», affirme-t-il.