Le roman Pantin de feu de Bachir Mefti, paru initialement en 2010, a été traduit de l'arabe au français par Lotfi Nia. La traduction des auteurs arabophones vers le français est assez rare pour être chaleureusement saluée. D'autant plus qu'il s'agit d'une co-édition entre les éditions algérienne, El Ikhtilef, et libanaise, Difaf. Cette co-édition a, en outre, été soutenue par le programme d'aide à la publication de l'Institut français d'Algérie. Le roman, qui a valu à son auteur une sélection au prestigieux Arab Booker Prize 2012, pourrait être sous-titré Confession d'un monstre ordinaire. Le monstre en question est Réda Chaouch qui nous raconte sa triste vie à travers un «manuscrit retrouvé par l'auteur». Ce procédé littéraire classique (Don Quichotte) est probablement utilisé ici comme un moyen de distanciation entre l'auteur et son personnage. «La vie est une étrange histoire quand elle vous est racontée par quelqu'un qui est sur le point de la quitter». Ainsi débute le manuscrit de Chaouch qui se raconte sans retenue et raconte par la même une période trouble de l'histoire algérienne. Sans être un personnage-type, Réda est certainement à l'image d'une génération, celle de l'auteur, qui a grandi au milieu de la période charnière des années 80'. Dans le quartier populaire de Belcourt, le père de Chaouch, directeur de prison nostalgique de l'ère Boumediene, est craint de tous, à commencer par sa propre famille, et traîne même une dure réputation de tortionnaire. Il finit mystérieusement ses jours en se donnant la mort après une longue dépression. Adolescent, Réda fréquente le milieu des intellectuels de gauche et nourrit une opposition, voire un rejet, envers la figure de son père et tout ce qu'il représente au plan humain et idéologique. Mais Pantin de feu n'est pas qu'une histoire de politique, c'est aussi une histoire d'amour. Une histoire d'amour contrariée avec Rania que Réda s'efforcera de détruire faute de la posséder. «Je t'aime. Oui je t'aime. Et pour cet amour je suis prêt à tuer tout le monde», c'est ainsi que Réda exprime enfin une flamme qui, pour avoir été trop longtemps couvée, donnera la mort plutôt que la vie. Le jeune homme, sans perspectives d'avenir d'aucune sorte, bascule dans la violence et plonge dans le mal avec délectation. Et voilà le jeune adolescent, épris de belles lettres devenu homme de main d'un groupe secret introduit dans les hautes sphères du «pouvoir». Récompensé pour sa fidélité, il se fait rapidement une situation sociale enviable. A-t-il perdu quelque chose en échange ? Il ne sait pas. Son âme peut-être. Son humanité, assurément. Réda découvre toute la palette de la violence : des menaces verbales jusqu'au meurtre. Il se rend compte ainsi qu'il prend le chemin de son père, ce père jadis exécré, et le surpasse même en cruauté. La carrière de son père est d'ailleurs un gage de confiance pour les membres du groupe secret protégeant les intérêts des puissants du moment. Mais ces derniers en savent plus sur son père et Réda Chaouch pressent que quelque chose lui échappe dans sa propre histoire familiale. Comment en serait-il autrement dans ce milieu qui évolue dans le mensonge, le secret et les complots de toutes sortes ? Pantin de feu est une sorte de relecture algérienne et moderne de la figure littéraire de Faust, l'homme qui vend son âme au diable pour jouir des biens de ce monde. Cette déchéance humaine est décrite précisément, sans fioritures, ni sentimentalisme. Qu'on en juge : «Je me suis retrouvé seul. Je me suis assis. La lumière a commencé à revenir. Quelques lueurs ont filtré de l'extérieur, un rayon de lumière s'est posé sur ma tête. Je me suis éveillé à cette vérité : j'avais tué ce type». On pensera évidemment à un autre écrivain familier de Belcourt, en l'occurrence Albert Camus. Mefti appuie le clin d'œil à l'auteur de L'Etranger dans un passage où Réda se demande pourquoi il n'avait pas pleuré suite à la mort de sa mère. Au-delà de l'aspect «documentaire» de ce roman qui dépeint avec précision les agissements mafieux du côté obscur du pouvoir à la veille de l'explosion d'octobre 1988, avant-goût des révoltes survenues dans le monde arabe des décennies plus tard, Pantin de feu est aussi un roman qui pose des questions philosophiques sur la banalité du mal (suivant l'expression de Hannah Arendt). Bachir Mefti place le lecteur du côté des êtres maléfiques avec un certain cynisme qui peut effaroucher a priori. Mais, comme le disait justement André Gide, les bons sentiments ne suffisent pas à faire de la bonne littérature. D'ailleurs, il ne s'agit certainement pas, dans Pantin de feu, de faire l'apologie du crime et de l'absence de morale, mais bien de décrire une société et un système politique qui poussent un être sans prédisposition particulière dans la pente, somme toute naturelle, de la violence et de la bestialité.