- Comment expliquez-vous la relation entre les zaouias et les hommes politiques en Algérie ? C'est aux chercheurs de faire des études sur les influences des zaouias, un secteur encore méconnu. Pour les politiques, les zaouias sont une source de légitimité. Ce sont des institutions proches des Algériens lambda, très influentes dans les régions où elles sont implantées. Dans le cas de Chakib Khelil, je pense qu'il s'agit plutôt d'une mise en scène des militants FLN, à la fois proches de cette zaouia de Benhar et proches de l'ex-ministre. Alors que ces institutions devraient être préservées de telles manœuvres, elles se retrouvent instrumentalisées. Un Etat a besoin d'institutions indépendantes, autonomes et fortes et non soumises. Avec des zaouias dépendantes, c'est le pouvoir qui sera perdant à l'avenir, comme ce fut le cas des mosquées dans les années de terrorisme. - Quel était alors l'objectif de ces zaouias en Algérie ? En Afrique du Nord, les zaouias ont été fondées entre le XIe et le XIIe siècles. Elles avaient des principes, une histoire et surtout une moralité. En Algérie, au-delà de l'aspect social et religieux, de l'apprentissage des sciences religieuses, ces zaouias ont toujours constitué un rempart et ont longtemps joué le rôle de protection vis-à-vis l'étranger. De plus, c'est grâce aux zaouias que les Ottomans n'ont pas réussi à imposer leur culture en Algérie. C'est grâce à elles que nous avons pu préserver notre culture et nos langues durant la colonisation. A l'époque, c'étaient des relations de vis-à-vis et non de compromission. - Pourquoi la nature de ces relations a-t-elle changé depuis ? A force d'intervenir, la relation a été un peu pervertie. Après l'indépendance, le pouvoir a voulu casser ces zaouias qu'il voyait comme rivales, car ces dernières avaient de l'emprise sur la population algérienne. Il voulait se débarrasser de toutes les formes ancestrales de structure sociale, à ses yeux des forces réactionnaires, surtout dans la population rurale. Les zaouias ont été marginalisées au détriment des mouvements wahhabites encouragés par le pouvoir pour contrer les zaouias. Avec le temps, le pouvoir s'est aperçu qu'il a annihilé, en réalité, tout ce qui était authentiquement algérien avec une forme d'islam plus tolérante et ouverte, et a encouragé la vision la plus radicale de l'islam. Mais quand il a voulu faire autrement, il a perverti ces zaouias en leur injectant beaucoup d'argent et en les poussant à la compromission et à prendre partie politiquement, comme ce que nous avons vu dernièrement avec Chakib Khelil à Benhar, ou avec d'autres hommes politiques ailleurs.