Combattues, pendant des années pour «obscurantisme», «passéisme» et collaboration proclamée avec la colonisation, les turuq et les zaouias sont aujourd'hui présentées comme un antidote à l'avancée du salafisme. Disqualification politique Les racines de notre acculturation religieuse remontent aux premières années de l'indépendance. «L'islam de nos ancêtres», comme aime à le décrire l'actuel ministre des Affaires religieuses, semblait, aux yeux des gouvernants de l'époque, dépassé, voire archaïque. La modernité était incarnée, à leurs yeux par les réformistes menés par le mouvement des Oulémas. Saïd Djabelkhir, chercheur en soufisme, l'explique en ces termes : «Dans le fond, les gouvernants des années 1960-1970 voulaient en réalité gagner la sympathie de grandes figures de l'association des Oulémas, vus comme une potentielle menace et un réservoir d'opposition, comme les cheikhs Bachir El Ibrahimi, Abdelatif Soltani, Omar El Arbaoui, Mesbah Lahouidhek, Ahmed Sahnoun.» La marginalisation des zaouïas et la volonté de les faire taire a entraîné, selon lui, un vide spirituel. «Le manque d'alternative au référent religieux a laissé, dit-il, un terrain vierge au discours wahhabite, entré en force en Algérie à la fin des années 1970». La mémoire sélective des manuels scolaires Il n'y a pas de place pour les zaouias à l'école. Bien sûr, l'insurrection de 1871 figure dans les manuels scolaires. Evidemment, les noms d'El Mokrani et d'El Haddad sont évoqués dans les cours d'histoire, tout comme le combat qu'a mené l'Emir Abdelkader contre l'invasion coloniale. Mais cela se fait sans référer explicitement aux turuq auxquels appartenaient ces figures algériennes de la résistance. Mohamed Brahim Salhi, chercheur, explique que «La Cheikhiya dans le Sud-Ouest, dont la résistance à l'occupation française est vigoureuse, n'est jamais présentée comme tariqa, même si on fait cas de la tribu religieuse qui lui donne corps, à savoir les Ouled Sidi Cheikh. Les Assiwiya et les Ammariya, ou encore la plus jeune tariqa algérienne, la Alawiya (1920-25), ne figurent pratiquement pas dans le système de référence historique en usage dans la fabrication des manuels scolaires ou même d'ailleurs dans grands nombres de travaux universitaires». Pour lui, l'école, qui occulte les réalités de l'histoire religieuse et qui a façonné une mémoire sélective ne permet pas de voir, ni de penser le style religieux traditionnel autrement que comme une relique. Pour le chercheur, la péjoration et le rapport un peu honteux au passé religieux, tel que vécu par des générations d'Algériens, n'est ni la fabrication de la bureaucratie religieuse seule ni de l'islamisme seul, mais des deux ensemble. Zaouias et politique : Les liaisons dangereuses Des activités des zaouias ces dernières années, on retient surtout l'image de cheikhs qui accordaient leur baraka et leur soutien au candidat-président Abdelaziz Bouteflika en 2004 et en 2009. Lui-même proche de la zaouia Belkaïdya, le président algérien a voulu, dès son accession au pouvoir, réhabiliter l'islam maraboutique. Déchirés, les cheikhs de l'union des zaouias ne sont pas tombés d'accord sur le soutien de la candidature du Président. Pour autant, certaines zaouias sont réputées puissantes. La légende et le bouche-à-oreille veulent que quelques noms de ministres auraient été susurrés par des chefs de zaouias proches du cercle du pouvoir. Dans son édition du 3 octobre dernier, le journal El Khabar faisait état de la visite du président du Forum des chefs d'entreprises ce aux zaouias de l'Ouest.