Les propos tenus, la semaine dernière, par le patron de l'administration fiscale, suivis des demi-mots du ministre des Finances, qui a levé une partie du voile sur des wilayas (36) peu investies dans la collecte de l'impôt, témoignent de toute la faiblesse et les limites du système fiscal algérien. Au-delà des classements mondiaux qui placent l'Algérie dans la case des pays où la pression fiscale est pesante (72,7%, selon le rapport Paying Taxes 2015), l'administration fiscale évolue à pas de tortue, faute de moyens humains, matériels et technologiques. Pas seulement. La contribution d'autres institutions, dont la justice, fait défaut face à la prolifération de l'économie informelle, des zones de non-droits et à la multiplication des cas d'évasion fiscale. Les maux sont nombreux pour l'administration fiscale, confrontée désormais au défi d'améliorer les recettes de la fiscalité ordinaire, dont les ambitions initiales de l'année en cours s'établissent à 3200 milliards de dinars. Face à un gouvernement qui veut faire du chiffre, tant il est question de couvrir 100% de la masse salariale et une partie du budget de fonctionnement, le fisc attend que l'on acquiesce à son vœu pour pouvoir s'y mettre efficacement. Outre le renforcement de l'administration fiscale en moyens humains et matériels, une interconnexion entre les différentes institutions dont dépend le contribuable permet un échange efficace de l'information et sa meilleure traçabilité. En matière d'innovation fiscale et de simplification des procédures, l'Algérie est à la traîne. «La déclaration fiscale mensuelle doit être réduite à sa plus simple expression, établie et remise aux services concernés sans qu'un contact physique permanent soit la règle. Un système de télédéclaration devrait être généralisé à tous les contribuables domiciliés chez des comptables agréés, et le paiement effectué sur ponction directe sur les comptes désignés par les redevables à cet effet. Pour les bilans annuels, la procédure devrait être la même que pour les déclarations mensuelles», estime Ferhat Aït Ali, analyste financier. Selon lui, l'administration fiscale doit être modernisée en matière de locaux, de connexion numérique et de personnel qualifié, mais surtout adaptée aux exigences de réactivité et de discernement dans un environnement économique qui ne répond plus aux normes de gestion bureaucratiques du passé. Faute de quoi, les limites du système fiscal algérien s'érigent en parfait obstacle à la réalisation des objectifs de recettes établis par le gouvernement. «Dans les administrations fiscales, il y a certes des compétences, mais il y a aussi un désordre dans la gestion, des fichiers qui traînent à même le sol, des bureaux dépourvus du moindre équipement informatique…», témoigne un inspecteur des impôts rencontré à Alger. Une image que le fisc tente de redorer à la sueur de son front. En plus de la faiblesse de ses moyens, les prérogatives de l'administration fiscale face à certains fléaux, dont l'informel et l'évasion fiscale, ont été réduites à néant en l'absence d'une stratégie claire en la matière, voire d'une volonté politique pour y remédier. Dans la sphère marchande de l'économie informelle, 80% des transactions se font sans facturation et autant pour l'usage du cash comme moyen de paiement. Le gouvernement a beau affirmer sa détermination à éradiquer l'informel, l'histoire retiendra que les institutions de l'Etat ont échoué à imposer le chèque comme moyen de paiement au lendemain des émeutes de janvier 2011. Selon certaines estimations, l'informel accapare 50% de la masse monétaire en circulation. En fiscalité, cela signifie une concentration des prélèvements sur une population imposable réduite, une injustice face à l'impôt, une pression fiscale sur les bons contribuables et… une évasion fiscale dont le manque à gagner pour le Trésor s'élève à 3 milliards de dollars par an, selon certaines estimations. En somme, l'efficience d'un système fiscal obéit à des paramètres tant économiques que politiques. Il est au cœur même de toutes les notions d'équité et de justice sociale. La prolifération de l'informel, l'évasion fiscale, le faible rendement de l'impôt sur la fortune..., autant de fléaux qui écornent le principe d'équité fiscale. D'où l'exigence de réforme tant au niveau des instruments qu'à celui des politiques à même de rendre le système fiscal efficient et juste.