L'image choquante du président Bouteflika lourdement affecté par la maladie dévoile l'incapacité de ce dernier à gérer un pays comme l'Algérie. En diffusant une telle photo, le Premier ministre français savait quelle portée elle allait avoir sur les Algériens, mais surtout sur le clan qui dirige les affaires de l'Etat. Des sources bien informées y voient un acte de représailles, mais pas un lâchage de la France, parce qu'elle a encore besoin de l'Algérie en cette période de crise majeure. Assis sur une chaise roulante, les yeux hagards, le regard perdu, la mâchoire crispée, la bouche entrouverte, la voix totalement éteinte et les bras fixes. C'est l'image, choquante, d'un Président — Abdelaziz Bouteflika — très affaibli, pour ne pas dire momifié, que nous a renvoyée en plein visage le twitter du Premier ministre français, Manuel Valls, dès son retour à Paris, lundi dernier, et reprise en boucle par une grande partie des médias français. Ce visage boursouflé renvoie malheureusement au drame de l'Algérie. Celui d'être présidée par un homme gravement malade, dont les prérogatives seraient entre des mains malsaines. C'est en tout cas le sentiment que ressent une bonne partie de la société algérienne, qui a enflammé les réseaux sociaux en exprimant sa colère et son indignation. Mais que s'est-il passé pour que ceux qui avaient accusé, deux jours avant, les médias français d'avoir porté atteinte à l'image du Président, en publiant sa photo à la une du journal Le Monde, en traitant l'affaire Panama Papers, permettent la tenue d'une telle rencontre, dans l'état où était Bouteflika ? Selon des sources bien informées, «l'état de santé du Président a atteint un point de non-retour. Il était impossible de le montrer sous un autre visage. Il semble ne plus décider depuis bien longtemps». La réponse rappelle étrangement les préoccupations exprimées par les membres du Groupe des 19, qui avaient dénoncé «une usurpation des prérogatives du Président» par des personnes de son entourage, soutenues par une oligarchie d'hommes d'affaires qui a pignon sur rue mais surtout sur les marchés publics. «Les membres du cabinet ne peuvent pas trouver meilleure situation que celle dans laquelle ils ont mis le Président. Isolé, il n'est au courant que des faits qu'ils veulent bien lui montrer. Il est souvent en convalescence et son état ne pourra connaître une amélioration. Dans le meilleur des cas, il restera stationnaire. Ce qui permet à ceux qui tiennent les rênes de décider sans être mandatés, évitant ainsi toute responsabilité en cas de dérive ou de remise en question. En clair, ils ont tous les pouvoirs sans être comptables», expliquent nos interlocuteurs. Pour ces derniers, «la course à la succession est ouverte. Tous les candidats, Abdelmalek Sellal, Ahmed Ouyahia, Ahmed Gaïd Salah, Abdessalem Bouchouareb et Amar Saadani, se voient déjà au poste de la magistrature suprême. Le frère du Président, Saïd Bouteflika, fait croire à chacun d'eux qu'il est le cheval gagnant. Mais en réalité, il n'y a rien à l'horizon, parce qu'un réel candidat à la succession aurait permis au clan de mettre de l'ordre. Or, la visite de Manuel Valls a démontré clairement que rien ne va plus au plus haut sommet de l'Etat dont l'avenir est incertain. Plus grave, l'état de santé du Président s'est dégradé et n'est plus un secret. La photo qu'a publiée le Premier ministre français est parlante. Désormais, personne ne peut croire à l'alacrité de Bouteflika, et encore moins à ses capacités de gérer les affaires du pays. Son état augure une fin probablement proche, à laquelle le clan ne s'est pas encore préparé et risque d'ouvrir les portes à toutes les dérives possibles». Un constat qui donne froid dans le dos, mais la question qui reste sur les lèvres des plus avertis est celle-ci : dans quel but Manuel Valls a-t-il mis les pieds dans le plat pour balancer une telle photo aux visages des Algériens, lui dont le pays est l'un des principaux alliés des dirigeants algériens ? Nos interlocuteurs répondent : «Tout le monde sait qu'en venant en Algérie, Manuel Valls voulait rentrer chez lui les valises pleines. Or, cela n'a pas été le cas. L'affaire Panama Papers a grillé une bonne partie des cartes et suscité une rupture de confiance. Valls est retourné chez lui bredouille. Il a twitté la photo de Bouteflika à titre de représailles.» Peut-on croire que la France de François Hollande, le Président qui avait soutenu et appuyé le 4e mandat de Bouteflika malgré les lourdes conséquences de sa maladie sur ses capacités à gérer un pays comme l'Algérie, puisse lâcher ses alliés ? «Pas du tout», s'écrient nos sources. «Ce ne sont que des représailles et non pas un lâchage comme certains le disent. La France traverse une crise économique majeure et la cote du président Hollande a atteint son niveau le plus bas. L'Algérie est pour lui cette bouée de sauvetage, dont il a besoin. Il veut rafler le maximum de marchés pour sauver ses entreprises. C'est dans une situation de vulnérabilité, de faiblesse, d'opacité et de désordre qu'elle peut influer et arracher ce qu'elle veut. La situation dans laquelle les proches du Président ont plongé le pays est propice à toutes les dérives et les atteintes à la souveraineté. C'est d'ailleurs une opportunité pour tous les prédateurs qui vivotent autour de la Présidence.» Le constat est sombre et n'augure rien de bon. L'image réelle du Président, celle d'un homme extrêmement affecté par la maladie, illustre parfaitement ce décor sinistre. Les lois de la biologie ne permettent pas à un cerveau sans corps de gérer les affaires d'un Etat, de surcroît aussi complexe que l'Algérie. A en croire nos interlocuteurs, «nous sommes à la croisée des chemins. La fin d'une étape est si proche mais l'avenir reste malheureusement incertain en raison de l'entêtement suicidaire des faiseurs de décisions à vouloir réanimer un corps qui a perdu ses forces, dans le seul but d'accaparer le pouvoir et de se maintenir au plus haut de la hiérarchie de l'Etat. Une piètre image qu'ils donnent du président Bouteflika et surtout du pays, qu'ils prétendent défendre».