«Si nous venons à tomber, défendez nos mémoires» Didouche Mourad Un legs mémoriel en direction des générations montantes, la statue, le monument, le mémorial, l'édifice sont des supports visuels privilégiés de la mémoire collective qui perpétuent le souvenir, l'évocation et la pensée d'une nation pour constituer des repères d'immortalité à transmettre en legs aux générations futures. Ce vecteur et repère mémoriel structurant de la personnalité algérienne est également l'émanation de l'histoire à travers le cycle des âges et du temps. Il doit donc refléter la symbolique marquante et indélébile d'une forte expression d'un fait d'histoire à pérenniser pour l'incarnation de sa gloire, son héroïsme ou sa célébrité. Le sculpteur est à cet égard un artiste particulier investi d'une noble mission certes, mais dont la tâche est ardue pour la création d'une œuvre esthétique dotée d'une «âme» dans la symbolique de sa structure. Dans le contexte culturel présent où la sculpture est d'actualité, j'ai récemment pu découvrir en Kabylie dans une montagne du Djurdjura la statue d'un martyrologue dont la symbolique m'a fortement ému par la profondeur de son expressivité et son harmonie de simplicité. Celle-ci, érigée dans l'enceinte d'une placette publique centrale du village de Ait Ouabane (à une soixante de kilomètres de Tizi Ouzou) martyr et héroïque décimé par l'armée française pendant la guerre de libération, est l'œuvre d'art d'un jeune artiste amateur doué et enfant du terroir, affectivement adoptée par la population et devenue ainsi familière, tel un témoignage en ce lieu, repère de la mémoire collective d'un pan d'histoire et d'une épopée du village vécus et transmis par les acteurs et survivants de l'événement d'apocalypse aux générations successives. L'auteur de l'œuvre de cette statue a nourri dès l'enfance, et ce, des années durant, son imaginaire et ses sensations à la source de l'histoire assidûment et perpétuellement narrée par une génération de vigilantes passeuses, passeurs, gardiennes et gardiens de la mémoire. C'est cette substance mémorielle qui sera la matrice vivante de l'œuvre dans l'esthétique de sa symbolique à dessein d'immortaliser la pensée par le souvenir. Pour une nouvelle approche de valorisation esthétique du patrimoine sculptural, l'art statuaire ne peut être administré ou instrumentalisé, il ne sera que l'expression de l'inspiration, de la maîtrise et du talent de l'artiste à travers une thématique très sensible, celle de symboliser et de pérenniser la mémoire nationale. Dans le contexte actuel d'un véritable cauchemar de mauvais goût, le citoyen est révulsé et excédé par la désolation où la laideur des statues sans relief ne cessent d'être érigées en cascade pour dévisager l'environnement séculaire de nos villes et villages. Son espoir salutaire demeure celui de voir dans un très proche avenir une rencontre nationale des compétences en la matière, celle-ci existent, parmi elles des références de notoriété mondiale autour de cette préoccupation majeure de l'illustration des symboles du patrimoine mémoriel de la nation. Un héritage culturel à réhausser aux normes d'universalité. L'exemple cité de la sculpture anonyme de Kabylie pourrait ainsi traduire l'apport précieux de la société civile dont la participation effective augurerait une nouvelle approche d'échanges, de concertation fructueuse dans un domaine de créativité artistique aussi sensible que l'art sculptural. Ceci pour une perception artistique citoyenne susceptible de concourir à la valorisation, la préservation de la beauté des statues de nos villes et villages dans la fidélité du serment, de respecter et d'honorer la mémoire des héros dont le sacrifice a généré la renaissance d'un peuple enseveli dans le naufrage séculaire d'une longue et ténébreuse nuit coloniale. Cette contribution est antérieure à l'inauguration de la statue érigée pour la perpétuation du souvenir de Hocine Ait Ahmed le 13 avril 2016 à Ouacif, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Un modèle d'esthétique dans la symbolique d'une sculpture réalisée par trois jeunes artistes-étudiants de l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger et de Mostaganem dans la plénitude de leur expressive création et de leur talent. Ce qui corrobore la pertinence de la réflexion pour la valorisation de compétences avérées dans ce domaine sensible de l'art statuaire.