Omar Boudaoud est allé à la rencontre du militantisme par l'intermédiaire de Mohamed Zerouali qui a été le premier responsable du PPA dans la région de Dellys, à lui montrer le chemin. « Le fils de l'instituteur, chez qui j'ai été à l'école primaire, Salah, avait ramené un tract du PPA qu'il m'a passé. Je l'ai lu et j'ai été agréablement surpris par le fait qu'il y avait des gens qui essayaient d'affirmer leur personnalité d'Algériens. J'ai demandé des explications pour adhérer et c'est là qu'on m'a mis en contact avec Zerouali à Baghlia, un jour de marché. Rendez-vous est pris près de Dellys où j'ai rencontré quelqu'un de mon village, habitant Alger. C'était l'un des premiers responsables du PPA. Il s'appelle Djemaâ Rezki. On s'est réunis dans une maisonnette de marabout, où il y avait d'autres personnes : le responsable de la commune de Tigzirt, coiffeur dans cette ville, le responsable de Dellys, les responsables d'Abbou et de Naciria et moi, responsable de Baghlia. On a discuté des réseaux du PPA avec leur système pyramidal. Je suis remonté chez moi, et j'ai contacté tous les amis favorables à la cause. Un jour, j'ai eu l'idée d'associer nos aînés. J'ai choisi sept à huit personnes qui avaient les mêmes sentiments nationalistes. J'ai invité Zerouali pour donner une conférence, car il maîtrisait bien l'arabe littéraire. La rencontre a eu lieu à la mosquée de Taourga. Un de nos aînés avait émis des réserves en rappelant les conséquences du soulèvement de 1871 et son lot de malheurs, en insistant sur le caractère clandestin de l'organisation car “le colonialisme, a-t-il martelé, a des oreilles partout”. » En 1947, Omar prit part au premier congrès du MTLD. A 23 ans, il compte parmi les 15 militants qui forment la délégation de Kabylie. Mais son itinéraire militant est contrarié par la fragilité du parti dont il avait une autre idée. C'est ainsi que Omar commence à prendre ses distances avec la direction du parti qui, selon lui, a dévié de ses missions originelles. Il s'en explique : « C'est une vieille histoire que je vais d'ailleurs écrire un jour. J'ai été arrêté à deux reprises. En 1945 et en 1959. Mon arrestation ainsi que celle de mes camarades ont été le fait d'un mouchard au sein de notre organisation spéciale dont j'étais le responsable pour la Basse-Kabylie. Le complot contre l'OS l'a découragé A ma sortie de prison, j'étais déçu, très déçu de savoir qu'un mouvement aussi important que le nôtre était infiltré. J'ai donc cessé toute activité. En plus, le complot contre l'OS a donné lieu à beaucoup d'arrestations. L'organisation était pratiquement décapitée et le parti avait décidé de dissoudre l'OS, intimant l'ordre à ses militants de rejoindre l'organisation politique. » « A ce moment-là, se souvient-il, je n'étais ni contre Messali ni contre les centralistes. J'étais contre eux tous, c'est-à-dire que pour moi, il y avait manque de confiance. C'est ainsi qu'après les événements de 1945 à Sétif avec ses 45 000 morts et les élections truquées à l'Assemblée algérienne nous étions persuadés que nos n'allions avoir nos droits, y compris l'indépendance, qu'à travers la lutte armée. Celle-ci était pour moi remise en cause par le parti lui-même et par l'infiltration de mouchards. Cela explique mon départ en France en 1952. » Dans le milieu politique, il y a eu le différend qui commençait à se faire jour entre Messali et les centralistes. « Je n'avais pris aucune position, mais il y avait beaucoup de militants comme moi de l'OS avec lesquels je suis resté en contact. Quelques mois avant le déclenchement de la guerre, une délégation est venue d'Alger pour contacter à Paris Messali et trouver une issue au différend. Cette délégation comprenait Hachemi Hamoud, Didouche Mourad et Mustapha Benboulaïd. Nous nous sommes rencontrés à Paris à St-Michel, dans un café Le Lutèce. Nos amis sont allés voir Messali et nous nous sommes revus plus tard dans une boîte de nuit de la rue St -Severin appartenant à un Algérien. Si Hamoud, originaire de Bordj Menaiël et que je connaissais bien, était déçu de la rencontre et était résolu à vendre ses biens pour aller s'expatrier en Egypte. Benboulaïd a dit que Messali ne voulait pas entendre raison, il voulait absolument faire son parti à lui, sans tenir compte des responsables du parti. Il était donc question de rentrer au bled et de lancer les opérations. C'est ce qui était convenu. » Un matin, dans les journaux, je lis avec un sentiment indicible le déclenchement de la lutte armée. On était complexés vis-à-vis des Tunisiens et des Marocains, qui menaient la lutte à leur façon, alors qu'on pensait qu'on était à l'avant-garde de l'Afrique du Nord. Désormais, c'était fait, la guerre était en marche. Tarbouche, premier responsable de la Fédération « J'ai commencé à contacter tous les éléments que je connaissais. Nous nous sommes regroupés en prenant attache à Alger avec Krim et Ouamrane. Le premier responsable de la fédération, c'était Tarbouche aussitôt arrêté par la DST. Après quelque temps, je suis parti au Maroc où il y avait beaucoup d'Algériens, mais l'organisation du FLN n'existait pas. En revanche, il y avait l'Amicale des Algériens français du Maroc, patronnée par des Algériens. Des jeunes ont poussé à l'organisation d'un congrès, à l'issue duquel le Dr Damerdji, que Dieu ait son âme, a été porté à la tête de cette amicale. C'est à partir de là qu'on a contacté tous les Algériens pour les faire adhérer au FLN. C'est à cette période-là que Boudiaf arrive au Maroc, avec Taâlbi Tayeb (Si Allal) pour prendre la tête de la fédération FLN dans ce pays. Là on a commencé à recruter. J'étais membre de la direction chargé des finances. Par la suite, j'ai été muté. J'ai appris par Abane, membre du CCE qui était accompagné de Benkheda, que j'étais muté en France. Il a insisté pour que j'y aille, malgré les séquelles de mon accident de voiture. Je me rappelle avoir reçu 200 000 F anciens et je suis parti. » La Fédération de France est dirigée par un comité fédéral de cinq membres. Omar Boudaoud en est le chef, Ladlani dit Kadour, chargé de l'organisation, décédé cet été, que Dieu ait son âme, Abdelkrim Souici le trésorier, Saïd Bouaziz, responsable des groupes armés, l'OS, Ali Haroun dit Alain est chargé de l'information et du soutien aux détenus et responsable du collectif des avocats . Dans la lutte pour le pouvoir, la Fédération de France et son potentiel financier constituent un bel enjeu. Lorsque à Tripoli, éclate la rivalité entre les civils du GPRA et les militaires de l'état-major général de l'armée des frontières, la fédération est bien évidemment l'objet de convoitises. « L'organisation du FLN en France a été presque parfaite, on n'a jamais eu de gros pépins. Toutes les décisions et tous ordres du FLN ont été exécutés sans aucune difficulté et d'une façon tout à fait consciente par nos militants », fait savoir Si Omar. Au lendemain de l'indépendance, Omar est député mais il quitte la politique en raison du désaccord avec Ben Bella et son équipe. Il rectifie : « On était en désaccord déjà en 1962, après le Congrès de Tripoli. Ce n'est pas nouveau. J'étais député et j'exerçais mon mandat jusqu'au 19 juin. J'étais membre du CC du FLN jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Boumediène. » Que lui inspire la situation actuelle du FLN ? « On ne peut comparer l'actuel FLN à celui qui a déclenché la révolution. Ce n'est pas du tout la même chose. A l'époque, ceux qui étaient au sein du FLN n'avaient rien à partager, sinon la prison ou la mort. Tandis que maintenant, il y a un grand gâteau à partager. » Omar prend ses distances avec Ben Bella Il dit souffrir de voir la situation en Kabylie se détériorer. « Je pense qu'elle est dramatique. C'est une région qui est victime de ses responsables. Ils n'arrivent jamais à se mettre d'accord. Dès qu'un parti se crée, il est vite voué à la division. Un grand nombre de dirigeants de cette région qu'est la Kabylie ne contrôlent rien. En fait, nul ne peut réellement se targuer de contrôler quoi que ce soit... même pas les archs. Je ne les critique pas, au contraire, ils ont su, vu la situation qui évoluait, prendre la relève des partis qui ont fait défaut, ou qui ont fait presque faillite. » Il note que même chez les archs, il n'y a pas une direction homogène. Bien évidemment, cette situation ne l'enchante guère, de même que la classe politique qui, à ses yeux, a dévié de ses objectifs. « Il y a un trop-plein d'oppositions, mais négatives. Nous n'avons pas encore vu une opposition organisée, homogène qui regroupe les démocrates et tous ceux qui sont pour la justice sociale dans ce pays. Les ambitions des uns et des autres, empêchent la construction d'une véritable opposition comme cela se fait dans les autres pays dits avancés, où le jeu de l'alternance lui permet de prendre la relève. » « Je suis jaloux de voir les Français et les Américains, par exemple, dont la politique est animée par deux grands partis arriver à un tel niveau de développement. La meilleure solution en Algérie est d'arriver à l'émergence de deux partis importants. » La tâche est ardue, au moment où on n'en finit pas de discuter du projet de société, alors que les associations à caractère politique naissent comme des champignons. « Il peut en exister une multitude mais l'idéal est d'avoir deux grands pôles avec un parti qui peut prendre la relève du parti au pouvoir. On n'en est pas encore là, les démocrates sont atomisés. Celui qui veut réunir les démocrates le fait avec des arrière-pensées, à partir de sa personne, avec cet esprit de leadership. Je suis contre tous ceux qui, sans consultations, s'autoproclament leader. Ce n'est pas dans l'esprit des Algériens qui n'aiment pas qu'on leur impose un chef. » A propos de la réconciliation nationale prônée par Bouteflika, si Omar n'y voit pas d'inconvénient. Il y décèle même certaines vertus qui redonnent confiance à tout le peuple.. « Je ne vois pas qui peut être contre mais est-ce que toutes les conditions sont réunies ? Actuellement, je ne le pense pas. Tous les Algériens doivent travailler ensemble pour une réconciliation réelle dans le cadre de ce que le FLN de la guerre avait projeté pour l'Algérie de demain. Vous savez, quand on arrive à avoir une réconciliation nationale en Afrique du Sud grâce à Mandela malgré tous les antagonismes et toutes les différences, ce n'est pas du gâteau malgré une politique d'apartheid inommable. Ici, c'est moins ardu. On a beaucoup de choses communes ensemble. Ce qui nous réunit est plus fort que ce qui nous divise. » Boudaoud peut discuter longuement des hauts faits liés à la fameuse Wilaya 7 dont il avait la charge, rappelant toutefois et c'est très révélateur qu'on a attendu l'année 1992 pour proclamer le 17 octobre journée nationale de l'émigration comme les autres grandes dates de l'histoire de l'Algérie.