« J'arrêterai de faire de la politique le jour où les hommes politiques arrêteront de nous faire rire. » Coluche Dans ses yeux brille une flamme, volontiers insolente, dont on imagine qu'elle ne l'a jamais quitté. Le verbe fort tente de compenser une mémoire parfois défaillante. Ses amis sont catégoriques : « Globalement, il n'a pas beaucoup changé. » « Dieu merci, je suis resté le même », insiste-t-il. Il déplacerait les montagnes pour préserver sa personnalité forgée dans l'adversité. Ses proches le décrivent comme « un battant, un baroudeur qui n'hésite pas à aller au charbon pour les bonnes causes, capable d'utiliser tous les chemins de traverse pour faire bouger le monde ». Son père, Belhadj, a fait la première guerre. Il n'en est pas sorti indemne. Des bleus au corps, des bleus à l'âme. Mutilé de guerre, qu'ils disent. « La guerre, c'est pas beau et c'est pas drôle », lui aurait soufflé son paternel qui a transmis à son fils le sens des responsabilités et de l'honneur. « Il tenait un café maure au village. Il était très attaché à la terre qu'il cultivait et à sa famille qu'il entourait de tous les égards. » Ammar Akli est né le 21 octobre 1927 à Aït Ahcène, près de Tizi Ouzou. Il n'a commencé à fréquenter l'école qu'à l'âge de 10 ans. « J'étais chétif, souvent malade et puis le trajet qui menait à l'école était long et ardu, sans moyen de transport. Le directeur, sur insistance de mon père, a fini par m'accepter. Il m'a fait une faveur, mais après cinq ans d'études et au moment de passer le certificat d'études, le directeur a estimé que j'avais largement dépassé l'âge requis. L'instituteur, M. Berkane, a vainement tenté de m'inclure dans la liste des candidats. J'en ai gardé une image controversée qui reste comme une frustration mal assumée. A 15 ans, l'école c'était fini pour moi. Je retourne à la terre en aidant mon père. J'ai labouré, pioché. En 1943, en pleine guerre, avec des amis, je me suis déplacé pour la première fois à Alger, où j'ai exercé plusieurs métiers. » Dans la capitale, l'enfant d'Aït Ahcène a vécu fiévreusement parfois dans la douleur les disparités sans doute plus criantes qu'ailleurs. On peut y mourir de trop vivre, mais on peut aussi y mourir de ne pas assez vivre. Ammar Akli commence à se poser des questions en regardant la réalité en face, en essayant de la distordre, de l'exprimer, de la provoquer. D'une voix monocorde, il évoque avec un certain détachement son engagement avec ferveur pour la cause nationale. Son militantisme passionné l'a conduit à braver les périls. Il revisite pour nous son combat. ENGAGE TRÈS JEUNE « En 1943, Ammar Ouzegane, secrétaire du PCA, tenait un meeting au cinéma Marignan à Bab El Oued. Par curiosité, j'y suis entré. Il parlait des inégalités, des injustices, du colonialisme, de l'oppression et de la nécessité pour les peuples de lutter pour leur liberté. Le discours m'avait plu. La politique était entrée en moi sans que je m'en rende compte. Pour l'anecdote, un jour, devant une caserne, je me suis bagarré avec un Européen. Malgré mon corps frêle, je l'ai battu. Des soldats sont sortis et m'ont giflé. Depuis, j'éprouve pour eux un sentiment de haine. Je les ai détestés jusqu'à vouloir en découdre avec eux. » Un soir de l'hiver 1944, on veillait au café du village, lorsqu'un militant nationaliste est venu faire un « speech » sur les méfaits du colonialisme. Il voulait me recruter. J'ai demandé une semaine de réflexion. A l'expiration du délai, j'ai donné mon accord. Je me rappelle lui avoir dit : « C'est une tâche difficile mais noble, l'Algérie vaut beaucoup plus. J'avais 17 ans, mais j'étais assez mûr pour prendre des responsabilités. » Et puis qu'avait-il à perdre ? Les conditions calamiteuses dans lesquelles vivait la majorité des Algériens les avaient réduits à des sous-hommes. De très larges couches de la paysannerie réduite à une misère intolérable n'avaient d'autre choix que l'action armée contre le colonialisme qui cristallisera contre lui les mécontentements populaires. C'est ainsi qu'une conscience nationale affermie prit naissance. Le 8 mai 1945, pour l'adolescent qu'il était, restera une journée sombre tachée de sang qui vit une répression inqualifiable s'abattre sur les manifestants de Sétif et de Guelma. « Qui pouvait rester insensible à ces tueries ? Cela renforça notre conviction qu'au feu il ne fallait répondre que par le feu. » SEULE LA LUTTE La rupture avec les anciennes formes de lutte était consommée. Le jeune sympathisant du PPA entrait de plain-pied dans la politique. Nommé chef de cellule, Ammar Akli gravit tous les échelons de la hiérarchie du PPA/MTLD jusqu'au poste de responsable de la propagande et de l'information, chef de kasma dans son fief à Beni Zmenzer, c'était durant l'année 1948. En 1950, il est appelé à assurer la permanence au sein du parti en tant que chef de daïra à Draâ El Mizan, puis à Azazga en 1951, après l'unification de la Basse et de la Haute Kabylie en une seule wilaya, dont le chef était Amar Aliane (ex-chef de wilaya de l'OS). En 1952, Amar Ouamarane le remplace à la daïra d'Azazga, tandis que lui est nommé à la tête de la daïra de Tizi Ouzou. il assurait parallèlement l'intérim à Fort National après l'arrestation de Bouach Akli. En 1953, comme le chef de wilaya a été arrêté, Dris a conduit la délégation qui a représenté la Kabylie au 2e congrès du PPA/MTLD qui s'est tenu à la place de Chartres à Alger et présidé par Souiyeh El Houari. Dans le différend qui a opposé messalistes et centralistes, et qui a entraîné la scission du parti, Dris et ses amis ont joué la carte de la neutralité avec le secret espoir de prendre le parti de celui qui sera pour le déclenchement de la lutte. Ammar Akli est arrêté le 28 mars 1954. Il écope de 10 mois de prison et est libéré le 2 février 1955. « A cette époque, Krim était à la Wilaya III et Abane à Alger. Il venait de sortir de prison. Krim m'a demandé de rallier Alger pour épauler Abane. C'est ce que j'ai fait en mars 1955 où la première action consistait à éditer des tracts pour contrecarrer les mots d'ordre du MNA qui exhortaient la population à boycotter les Mozabites. Ces derniers avaient bien affirmé leur algérianité. » Après avoir fait un bout de chemin avec Abane et Ahcène Laskri, Ammar prend le maquis dans le piémont blidéen en avril 1955, où il côtoie Benyoucef, vieux maquisard, Belhadj Boussaïd, Souidani, Bennacer… 4 mois après, il est arrêté. En juillet 1955, il écope de 20 ans de travaux forcés. Il fait les prisons de Blida, El Harrach et Lambèse. Il est libéré le 4 avril 1962. A l'indépendance, Ammar est au parti FLN où il s'attache à organiser le congrès de l'Association nationale des anciens détenus et internés, dont il est le président. Il est responsable du parti à Tizi Ouzou. « Ce qui a perdu le FLN à l'époque, c'est le parachutage d'éléments extérieurs qui n'avaient aucune prise sur la réalité locale. La population ne pouvait les accepter, encore moins les dirigeants que nous étions. On s'était échinés pour procéder à des élections démocratiques village par village. Mais la centrale n'a rien voulu entendre. Remarquez, même la nomination par Ben Bella de El Hadj Benalla à la tête du parti en remplacement de Bitat n'a pas été appréciée par les militants. » Là, la coupe était pleine et Ammar démissionne. Mais la crise du FFS le rattrape. EN 1962, DEJÀ LE PARACHUTAGE Que s'est-il passé ? Aït Ahmed avait fait scission en créant le FFS contre Ben Bella. « Homme tout puissant, aveugle et buté. » Le leader du FFS condamne le système du FLN. « Non à ce parti unique, qu'il soit au service d'un homme ou d'une oligarchie. Laisser à une homme ou à un groupe d'hommes le soin de fixer la ligne idéologique ou politique, c'est vouer le pays à tous les excès et les arbitraires, c'est créer un problème de légitimité, avec son cortège de purges et de répression. » Le 28 septembre 1963, le FFS est interdit comme le furent précédemment le PCA et le PRS. Refusant de jouer l'unanimisme à l'Assemblée nationale de laquelle il démissionna, Aït Ahmed voulait renverser le régime. Le lendemain de l'interdiction, le zaïm annonçait avec le colonel Mohand Oulhadj sa volonté d'abattre le régime de Ben Bella par la lutte armée. Le FFS rentrait dans un engrenage militaire, l'opposant à l'armée gouvernementale. Ammar nous raconte cette histoire grave et cocasse qui s'est déroulée au cours de cette période troublée. « Un jour, en plein Ramadhan, les milices du FFS m'ont kidnappé. Je revenais d'une partie de chasse aux étourneaux à Bouira. A mi-chemin, ils m'ont tendu une embuscade. Ils m'ont emmené du côté de Beni Douala. Certains de mes ravisseurs étaient mes subordonnés pendant la guerre. Ils m'ont traité avec respect. Il a fallu l'intervention de Aït Ahmed pour qu'on mette fin à mon calvaire. J'étais principalement visé, parce que j'étais au FLN, donc représentant du pouvoir. » Après cet épisode peu glorieux, Ammar ira exercer à l'usine textile de Draâ Ben Kheda, avant d'être désigné directeur départemental de la réforme agraire à Tizi Ouzou, sous l'ère Mahsas. Il y restera 6 mois. Après la structuration du ministère, Akli est carrément rayé de l'organigramme. Avec la prise du pouvoir par Boumediène en 1965, Dris renoue avec son secteur où il est à la fédération jusqu'en 1971. Puis, il est contrôleur régional à Annaba et Batna, et enfin contrôleur national jusqu'en 1982 où il est admis à la retraite réclamée deux ans plus tôt. L'Algérie actuelle ? Un sourire puis un haussement d'épaules dans un silence expressif. Il a des idées très précises sur le parti qu'il a défendu avec sincérité. Les phrases dures et douces semblent toujours tissées d'une évidence dérangeante. PARCOURS Dris Ammar Akli est né le 21 octobre 1927 au village Aït Ahcène, douar Beni Zmenzer, commune de Tizi Ouzou. Il a fait son école primaire à Tizi Ouzou. A 15 ans, il devient sympathisant du PPA. En 1944, il est chef de cellule. Une année après, il est promu chef de groupe. En 1946, il est chef de section de Hasnaoua, puis membre de la kasma dont il devient le chef en 1948 à Beni Zmenzer. En 1950, il assure la permanence au sein du PPA-MTLD en tant que chef de daïra à Draâ El Mizan, puis à Azazga en 1951. En 1952, il est remplacé par Amar Ouamrane. Le parti le nomme à la tête de la daïra de Tizi Ouzou en assurant l'intérim à Fort National. Dris est arrêté le 28 mars 1954. Il sort de prison le 3 février 1955. Il seconde Abane Ramdane à Alger, après avoir tenu les rênes de la daïra de Tizi Ouzou. En juin 1955, il prend le maquis à Blida. Le 11 juillet de la même année, il est blessé, arrêté et écope de 20 ans de prison. A l'indépendance, il est au parti FLN puis assume plusieurs responsabilités dans le domaine de l'agriculture. Il prend sa retraite en 1982 et mène une vie paisible au milieu de sa famille.