Village Tiguemounine, dans la région des Ouacifs, un vendredi ensoleillé. Au moins 250 personnes attendent fébrilement sur la ligne de départ pour prendre part à une randonnée pédestre en haute montagne, organisée par la direction de la jeunesse et des sports de la wilaya de Tizi Ouzou. La neige est encore au rendez-vous, au grand bonheur des amoureux de cette activité de plein air alliant plaisir de la marche et détente dans l'un des plus beaux territoires de la Kabylie. Premier «briefing» de l'expédition avant de se lancer sur les sentiers improbables du Djurdjura ; le guide professionnel, Lounès Méziane, nous rappelle la conduite à tenir et les techniques nécessaires pour évoluer sur le terrain sans encombre ni… surprise. «Surtout bien regarder où vous mettez les pieds». Dix heures, temps printanier, forte affluence, ambiance juvénile très décontractée aux sons de guitare, de bendir et de flûte. La procession humaine s'ébranle en file indienne, dans un ordre impeccable. Parmi les invités, des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle. Nous attaquons notre itinéraire qui nous mènera à Aït Abdelli, via Tala Wzar et le sommet La Main du juif, par une piste boueuse déconseillée aux randonneurs mal chaussés. Dix minutes de marche, un premier obstacle surgit. Un chêne abattu par un glissement de terrain barre complètement la route. Le tronc est énorme. Pas moyen de le faire déplacer même en faisant appel aux gros bras des adhérents des maisons de jeunes présents en grand nombre. On «déplume» les branches une à une pour s'y frayer un passage en enjambant la barricade d'infortune. Un peu plus haut, nous tombons sur des buissons de ronces, de genêts et autres plantes épineuses. Puis une interminable piste caillouteuse où le moindre faux pas est déconseillé au risque de finir sa course dans un précipice. Nous continuons à monter tant bien que mal. C'est loin d'être une promenade de santé ces randonnées. Des jeunes se détachent du groupe pour griller une cigarette à l'abri des regards de leurs encadreurs. Ils seront vite rappelés à l'ordre. «Ne vous aventurez-pas en dehors de l'itinéraire de la randonnée», leur ordonne-t-on expressément. Nous marchons depuis deux bonnes heures. L'ascension est ardue, mais le plus dur est devant nous, là-haut sur les cimes couvertes d'un épais tapis de poudreuse que nous apercevons de loin. Très mal outillés pour la circonstance, pour la plupart des randonneurs, nous nous enfonçons inexorablement dans un véritable bourbier de neige profond d'au moins 50 centimètres. Bienvenue en «enfer» de glace ! Les chutes se suivent et se ressemblent. Ceux qui assistent à la scène pouffent de rire, ramassent l'homme ou la femme qui est à terre avant de… chuter à leur tour une encablure plus loin. Sans gravité fort heureusement. Des secouristes de la Protection civile des Ouacifs, équipés de boîtes à pharmacie et de matériel de sauvetage en haute montagne, veillent au grain. Ereintée par l'aventure (ou la mésaventure pour reprendre ses mots), une consœur de la télévision est à bout de force. «C'est encore loin ?» demande-t-elle aux organisateurs d'un ton qui en dit long sur son calvaire, partagé d'ailleurs par de nombreux novices présents à cette randonnée. Outre les désagréments de ce «sport» charmant, consistant à chuter lourdement dans de la neige mélangée à de la boue parsemée de roche, il fallait faire attention aux caméras et aux micros, très sensibles aux intempéries. Nous l'aidons à transporter le matériel pour mieux avancer, tout en lui suggérant d'utiliser le trépied de la caméra comme bâton de randonnée. La technique semble payante mais pas pour longtemps dans ce milieu hostile truffé de pièges naturels. A chaque halte, reportage oblige, la journaliste devait «dégainer» pour immortaliser cette nature sauvage et la beauté époustouflante des paysages qui défilent sous nos yeux. En certains passages du parcours, il faut carrément «ramper» sur la neige, poser les mains puis les pieds, s'accrocher à une touffe d'herbe ou à un rocher pour continuer sa marche. Et encore ! Nous glissons à notre tour, une, deux, six fois. Par endroits, le sentier est rocailleux. La blessure peut être fatale. Des collégiennes incommodées par le mal des montagnes et l'effort physique s'affalent sur la neige. «Je n'en peux plus !» lâche une adolescente à ses copines qui lui donnent de l'eau et des sucreries. Le manque d'oxygène en altitude peut générer des troubles sur l'organisme. Nous sommes au pied de Thaletat, aussi appelé La Main du juif, qui culmine à 1638 mètres d'altitude. C'est l'un des plus hauts sommets du Djurdjura. Le mot thaletat signifie auriculaire en kabyle. Selon des indications, les Français ont donné au mont le nom de «Main du juif» en raison de son apparence d'une main levée à six doigts. Selon la légende, le mont était le lieu de prière d'un ascète juif. 13h, la fatigue se fait sentir. Nous avons les arpions en feu. Vivement la pause pour recharger ses batteries, panser ses blessures et se débarrasser de toutes ces épines qui vous collent à la peau. Les randonneurs se partagent leurs victuailles. La solidarité est de mise. Des adhérents de la maison de jeunes de Drâa El Mizan nous offrent thé et gâteaux. Des promeneurs profitent de la cette halte salvatrice pour se faire requinquer, faire sécher au soleil chaussures et chaussettes gorgées d'eau. A l'ombre d'un rocher, des habitués des lieux originaires de la commue de Sidi Naâmane (Tizi Ouzou) rôtissent du poulet qu'ils ont ramené dans leur besace. Des aigles tournoient dans le ciel bleu azur de la montagne, indifférents à l'intrusion des humains dans leur périmètre. La vue sur les villages est magnifique. Notre guide professionnel se saisit de son sifflet pour signifier la fin de la récréation. En avant toutes ! Aït Abdelli, point d'arrivée des randonneurs où nous attendent les bus pour le retour est à un jet de pierre. Cela fait près de 5 heures que nous vadrouillons, montons, descendons des pentes abruptes et glissantes. Nous avons également traversé un cours d'eau potable dévalant de la montagne, exploré des caches, telles que Akjit Izem et fait le plein d'air pur. Il est 17h, le soleil commence à décliner. Nous quittons la solitude du majestueux Djurdjura, son univers saisissant pour nous retremper dans le tumulte de la ville de Tizi Ouzou.