Les livres sur l'Ugema sont rares. A l'exception des ouvrages de Guy Pervillé sur les étudiants et quelques rares témoignages de Harbi, Abdesselem et Zoulikha Bekkadour, sur la période, il n'est guère facile de trouver des ouvrages sur l'activisme estudiantin durant la Guerre de Libération. Publié en 2010 dans la collection Jadel des éditions Casbah, L'Ugema (1955-1962) Témoignages, un ouvrage de 642 pages réalisé par l'historien américain Clément Moore Henry, est de ces livres utiles qui viennent combler un vide. Professeur de sciences politiques à l'université du Texas, Clement Moore Henry a réalisé 28 interviews d'anciens membres de l'Ugema, dont certains étaient ses camarades lorsqu'il était étudiant à Paris, en 1957. L'auteur a pu ainsi recueillir les témoignages de plusieurs acteurs de cette période, parmi lesquels Ahmed Taleb Ibrahimi, Rédha Malek, Belaïd Abdeslam, Belkacem Cherif, Messaoud Aït Chaâlal, Lakhdar Brahimi, Lamine Khène, Mahfoud Aoufi, Mouloud Belouane, Zahit Ihadaden, Abdelhamid Mahi Bahi et Sid Ahmed Ghozali. Selon son éditeur, ces témoignages de première main attestent de la capacité d'une génération d'étudiants à surmonter toutes les épreuves du colonialisme français pour «pratiquer un art d'association authentiquement algérien». Pourtant, reprend-il, l'Ugema n'a duré que six ans en tant qu'association autonome d'une société civile en plein essor ; la lutte de clans du FLN et ses tentatives clientélistes l'ont immobilisée à partir de 1961. L'hôte bienvenu, comme l'a qualifié le sociologue Ali El Kenz, qui reprend dans sa préface une expression de Jacques Berque, a essayé de répondre aux interrogations sur le conflit sur le «M» de musulman et sur l'appel à la grève resté, comme il l'affirme, un «mystère». Sur ce dernier point qui nous intéresse, l'auteur reprend une interrogation récurrente et propose une hypothèse : «Etait-ce le fait de Abane Ramdane, dans le but d'une rupture entre l'élite instruite musulmane de l'Algérie et les institutions françaises, qui faisait partie d'une ambitieuse stratégie révolutionnaire, ou était-ce l'œuvre spontanée des étudiants désespérés d'Alger mise en œuvre par leurs représentants de l'Ugema ?» L'historien, qui relève que le lecteur peut apprécier cette énigme à la lumière des témoignages de Lamine Khène, Belaîd Abdeslem et Belaouane. L'auteur a fait son choix : «Alors que la grève peut, en effet, avoir été soutenue par le FLN, l'initiative peut être venue des étudiants d'Alger et non pas des dirigeants haut placés.» L'auteur, dont le fil conducteur est la recherche de «l'art d'association en Algérie», conclut amèrement, comme le fait remarquer El Kenz, que l'Algérie a perdu cet art, en 1961, avec la mise au pas de l'association. L'après-guerre fera subir au mouvement estudiantin, qui a résisté un temps à l'arbitraire grâce aux fondateurs de l'UNEA et de son regretté premier président, Houari Mouffok*, d'autres épreuves. Avant d'être carrément domestiqué. * Lire son ouvrage Parcours d'un étudiant algérien, de l'Ugema à l'UNEA (Editions Bouchène, 1999)