Le Sénat, la Chambre haute du Parlement américain, a approuvé mardi une proposition de loi permettant aux familles des 2977 victimes des attentats terroristes du 11 septembre 2001 de poursuivre l'Arabie Saoudite pour son rôle supposé. Le texte adopté par le Sénat doit être examiné par la Chambre des représentants dont le président Paul Ryan a exprimé des réserves. La Maison-Blanche a indiqué aussi à plusieurs reprises que Barack Obama s'opposait à la loi afin de ne pas créer un précédent où les Etats pourraient être poursuivis. «Cette loi changerait le droit international traditionnel à l'égard de l'immunité des Etats. Le président des Etats-Unis continue de craindre que cette loi ne rende les Etats-Unis vulnérables dans d'autres systèmes judiciaires partout dans le monde», a indiqué mardi Josh Earnest, porte-parole de la Maison-Blanche. S'agissant des attentats, aucune implication de l'Arabie saoudite n'a, à ce jour, été démontrée mais 15 des 19 pirates de l'air étaient Saoudiens. Zacarias Moussaoui, le Français condamné en liaison avec les attentats du 11 Septembre et surnommé le «20e pirate de l'air», avait également assuré à ses avocats que des membres de la famille royale saoudienne avaient versé des millions de dollars à Al Qaîda dans les années 1990. Bien qu'importantes, ces «révélations» ne constituent cependant pas un scoop. C'est même un secret de Polichinelle. Tous les services secrets de la planète, y compris la CIA, savent que depuis le début des années 1980 l'Arabie Saoudite a financé une multitude de groupes terroristes pour propager son idéologie wahhabite et déstabiliser des pays. Et Riyad n'a jamais été inquiété, car il a toujours bénéficié du soutien des Etats occidentaux qu'il alimentait en pétrole bon marché. Des Etats qui, aujourd'hui, font tout pour que cette monarchie moyenâgeuse continue de bénéficier d'une forme d'impunité au niveau international. L'Arabie saoudite menace Quoi qu'il en soit, l'affirmation de Moussaoui avait tout de même suscité en son temps des réactions de l'ambassade d'Arabie Saoudite à Washington qui l'a rejetée avec véhémence. Idem pour la loi adoptée mardi et soutenue par deux sénateurs : John Cornyn, un élu républicain du Texas, et Chuck Schumer, élu démocrate de l'Etat de New York. Sa programmation par le Sénat avait déclenché la colère de l'Arabie Saoudite. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al Jubeir, avait même averti, en mars dernier, des élus à Washington de possibles représailles si le texte venait à être adopté par le Congrès américain, notamment la vente de 750 milliards de dollars en bons du Trésor américain et autres actifs américains. L'attitude de défiance de Riyad a eu pour effet de raviver le débat aux Etats-Unis sur la nécessité de déclassifier le rapport estampillé «secret-défense» de la commission d'enquête américaine sur les attentats du 11 Septembre. Les appels à sa «déclassification» les plus insistants viennent des familles de victimes qui veulent la vérité sur le rôle de l'Arabie saoudite dans les attentats. Pour nombre d'entre elles, «l'Administration américaine doit cesser de protéger l'Arabie Saoudite et passer outre les menaces de ses dirigeants en vue de déterminer avec précision quel rôle le pays a pu jouer dans l'organisation des attentats du 11 Septembre 2001». Les familles des victimes estiment en outre que «le gouvernement américain, tant durant les mandats de George W. Bush que durant ceux de Barack Obama, continue de donner la priorité aux intérêts de Riyad par rapport à ceux de la population américaine». Aussi réclament-elles la divulgation «immédiate» de la section censurée (28 pages) du rapport du Congrès datant de 2002 traitant des dysfonctionnements des services de renseignement américains en lien avec les attentats. Le président Obama doit faire savoir, au mois de juin, s'il entend faire déclassifier les 28 pages concernées qui portent plus précisément sur les ramifications saoudiennes du drame. 5 saoudiens ciblés Il faut dire aussi que l'intérêt pour leur contenu a été relancé aussi par les divergences d'opinions médiatisées d'anciens membres de la Commission nationale sur les attaques 11 Septembre. Dans son rapport produit en 2004, la Commission disait n'avoir trouvé «aucune preuve que le gouvernement saoudien comme institution ou des hauts responsables saoudiens» avaient financé Oussama Ben Laden ou son organisation. Seul un membre du gouvernement saoudien — un diplomate rattaché au consulat à Los Angeles — avait été montré du doigt par la Commission en raison de son rôle présumé dans un réseau de soutien utilisé par deux des terroristes ayant perpétré les attentats. Les conclusions du rapport avaient d'ailleurs été accueillies avec satisfaction par le gouvernement saoudien, qui se disait blanchi de tout reproche. Dans une récente interview accordée au quotidien The Guardian, une source proche de la commission en question s'insurge cependant contre cette interprétation. Selon elle, au moins cinq responsables saoudiens faisaient l'objet de forts soupçons et ont fait l'objet d'une enquête. Des employés du ministère saoudien des Affaires islamiques auraient notamment été ciblés. La source du Guardian souhaite elle aussi que le contenu des 28 pages censurées — qui étaient connues des membres de la Commission — soit rendu public afin que toute la lumière soit faite publiquement sur la filière saoudienne. Les deux anciens dirigeants de la Commission jugent de leur côté que les pages en question contiennent du «matériel brut non vérifié» qui pourrait porter préjudice à des personnes innocentes. Les Etats-Unis oseront-ils publier ce rapport secret dans lequel l'Arabie saoudite occupe une place centrale ? Si cela venait à se faire, il est à parier qu'il aura déjà l'effet d'une bombe.