La cérémonie d'ouverture, avant-hier en fin de journée à Tunis, du 10e congrès d'Ennahdha, a surtout valu par la partie d'échecs jouée à distance à travers les allocutions du président de la République, Béji Caïd Essebsi, et du leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi. BCE a commencé le premier en saluant le changement opéré par Ghannouchi au sein d'Ennahdha «devenu un parti nationaliste civil, qui ne se considère plus le porte-parole de la religion». Le président tunisien a exprimé l'espoir que «les travaux du congrès confirmeront Ennahdha dans un statut de parti civil tunisien, dans le fond et dans la forme, qui n'a d'obédience que pour la Tunisie et qui croit que l'islam n'est pas en contradiction avec la démocratie». Le discours de Caïd Essebsi s'est limité à présenter la vision qu'il espère d'Ennahdha, avec «des spécificités imprégnées par la société dont elle est issue, et prenant uniquement en considération le contexte social et politique tunisien, lors de ses prises de décision politiques… Des réponses responsables aux défis rencontrés par le pays, aussi bien lorsqu'Ennahdha est au pouvoir ou à l'extérieur du pouvoir». Le Président a conclu son allocution en soulignant que «de tels choix vont calmer les Tunisiens, soucieux de préserver leur modèle sociétal ouvert sur toutes les cultures et les civilisations et rejetant l'extrémisme religieux et la violence. Lesquels choix vont également tranquilliser les Tunisiens par rapport à l'avenir de leur démocratie naissante, leurs acquis modernistes, leur Etat civil et leur islam enraciné, inhérent à notre patrimoine réformiste et nos traditions éclairées». Le président Béji Caïd Essebsi n'a pas manqué de citer plusieurs versets de Coran pour soutenir le contenu de son discours, ce qui lui a valu des applaudissements appuyés et des «Ya Béji, ya Béji» de la part de la foule de 12 000 personnes, présentes à la salle des sports de Radès. Lequel public était opposé à Béji moins de deux ans plus tôt, lors de l'élection présidentielle. Bilan et programme Alors que les observateurs et les politologues s'attendaient à un discours expliquant les nouveaux choix politiques d'Ennahdha de la part de Ghannouchi, ce dernier s'est limité à parler de manière expéditive de cette question de changement de cap politique d'Ennahdha et de séparation entre le politique et religieux. Le discours de Ghannouchi était un mix entre le bilan du passé et le programme socioéconomique pour la Tunisie future. Il a d'abord rappelé l'expérience de la troïka et les concessions faites lors de la sortie d'Ennahdha du pouvoir pour réussir la transition en Tunisie, suite à sa fameuse rencontre à Paris avec Béji Caïd Essebsi. Ghannouchi a, par la suite, parlé de la réconciliation nationale, une idée lancée par le président de la République une année plus tôt et qui est «inévitable pour repartir d'un bon pied», selon le leader d'Ennahdha. «La réconciliation globale telle que nous la concevons ne signifie nullement le blanchiment de la corruption et des corrompus. C'est plutôt une réconciliation nationale globale en tant que projet national qui regarde vers l'avenir, sans exclusion ni marginalisation», a-t-il précisé. Par ailleurs, le leader d'Ennahdha n'a pas manqué de valoriser le rôle de Béji Caïd Essebsi comme emblème de l'unité nationale et de réaffirmer son soutien au gouvernement de Habib Essid. Dans la seconde partie de son discours, Ghannouchi a explicité la vision d'Ennahdha pour résoudre les problèmes auxquels est confrontée la Tunisie. A ce titre, il a soutenu les efforts de lutte contre le terrorisme, entrepris par le gouvernement et a rendu hommage aux soldats et martyrs. Il a reconnu les problèmes de chômage et de marginalisation dans plusieurs régions, mais a regretté la multiplication des sit-in qui bloquent la reprise économique. Ghannouchi s'est dit contre le chaos social. En deux mots, le leader d'Ennahdha a agi comme le chef du parti majoritaire qui trace le programme futur du gouvernement. En fait, Ennahdha dispose du premier groupe parlementaire dans une Tunisie où règne le chaos à l'échelle politique et socioéconomique. Ghannouchi n'a pas manqué d'assurer aux congressistes d'Ennahdha : «Notre expérience au pouvoir montre qu'Ennahdha est une partie intégrante de l'Etat. Vous êtes la force de l'Etat. C'est votre Etat et vous n'avez pas d'autre Etat que celui-là.» Il est donc clair que Ghannouchi reste aux commandes d'Ennahdha et aux avant-postes en Tunisie. Mais le pays n'est pas pour autant sortie de l'auberge, vu la crise persistante.
Absences remarquée des leaders Lors de la cérémonie d'ouverture, plusieurs leaders d'Ennahdha ont brillé par leur absence. Il s'agit notamment de Samir Dilou et Ameur Laârayedh, tous deux députés et membres du Conseil de la Choura, ainsi que de Noureddine Arbaoui, président du bureau politique du parti. Le vice-président du mouvement, Abdelfattah Mourou, a précisé que «ce n'est nullement le meilleur moyen d'exprimer son opposition aux choix politiques du parti, où chacun peut s'exprimer librement». Etaient également absent l'ancien président de la République Moncef Marzouki, le leader du Front populaire Hamma Hammami et le leader du nouveau parti Machroua Tounes (Projet de Tunisie) Mohsen Marzouk. Aucune explication n'a été présentée concernant l'absence de Marzouki (il se trouve à l'étranger) alors que Hamma Hammami a dit boycotter la rencontre.