Avec l'élection de Béji Caïd Essebsi à la présidence de la République, après celle du Parlement, la Tunisie tourne la page politique de la transition et se penche sur son aspect socioéconomique. Quels défis attendent le nouveau pouvoir ? Tunis De notre correspondant Deux tours de scrutins ont été nécessaires, les 23 novembre et 21 décembre, pour consacrer Béji Caïd Essebsi (BCE) comme président de la deuxième République en Tunisie. Laquelle victoire survient après l'obtention, le 26 octobre, par son parti, Nidaa Tounes, de la majorité relative au sein de l'Assemblée des représentants du peuple.La fin de la transition coïncide, donc, avec le départ des islamistes d'Ennahdha du pouvoir et l'installation de Nidaa Tounes comme pivot de la scène politique. Malgré les 11 points séparant Béji Caïd Essebsi de Moncef Marzouki lors du 2e tour de l'élection (55,68% - 44,32%), la victoire de Béji n'a pas été facile à obtenir, en raison de l'engagement effectif des sympathisants des islamistes d'Ennahdha dans le soutien de Marzouki. Pourtant, Rached Ghannouchi s'est déclaré officiellement pour la neutralité des islamistes dans la course à Carthage, alors que la majorité des autres partis politiques a soutenu Béji Caïd Essebsi. «Les 44% des suffrages obtenus par Marzouki traduisent l'importance de la bipolarisation en Tunisie», souligne, Hachemi Troudi, directeur de rédaction du quotidien arabophone Al Maghreb. Le temps des alliances Les scrutins sont certes finis. Mais les tracas politiques se poursuivent avec, comme premier défi, la formation du prochain gouvernement. En effet, Nidaa Tounes se trouve face à deux obstacles. D'une part, il ne dispose que de 89 sièges sur les 217 qui forment l'Assemblée des représentants du peuple et a donc besoin d'alliances pour former un gouvernement stable, surtout que le pays fait face à de grandes difficultés économiques. D'autre part, la direction de Nidaa Tounes a promis, pendant la campagne électorale, de ne pas s'allier aux islamistes d'Ennahdha pour gouverner le pays.«Béji est appelé à tenir sa promesse parce qu'un pareil changement de cap a coûté un KO électoral pour Ettakattol de l'ex-président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, qui n'a obtenu aucun siège dans le scrutin législatif, alors qu'il en avait obtenu 20 lors des élections du 23 octobre 2011. Entre-temps, Ettakattol avait fait alliance avec Ennahdha au sein de la troïka et c'est ce qui a causé sa perte», explique Néji Jalloul, le dirigeant de Nidaa Tounes, qui attire l'attention sur les risques d'une telle manœuvre politique. «Mais, Béji a aussi besoin du soutien d'Ennahdha au prochain gouvernement pour garantir la stabilité de la transition, surtout que l'on aborde le volet socioéconomique», remarque le président de l'Union patriotique libre, Slim Riahi. «La Tunisie a besoin d'un gouvernement d'union nationale pour calmer les inquiétudes des investisseurs sur la stabilité politique du pays et cela n'est possible qu'en associant Ennahdha au pouvoir, même si les islamistes ne sont pas dans le gouvernement», ajoute-t-il. «Les choses ne sont donc pas faciles», conclut Néji Jalloul. Les défis d'aujourd'hui et de demain Les Tunisiens ont réussi le gage de finaliser la transition démocratique dans un environnement géopolitique très instable, auquel il faut ajouter la crise économique en Europe, premier partenaire de la Tunisie. Ce contexte a compliqué davantage les tâches des divers gouvernements ayant dirigé le pays depuis la chute de Ben Ali. Du coup, point d'évolution sur le terrain socioéconomique, comme le constate le politologue Hamadi Redissi. «La désillusion commence à gagner les jeunes, dont la révolte a été derrière la chute de Ben Ali. Mais, comme ils se sont soulevés pour l'emploi et contre la pauvreté et la marginalisation, le prochain gouvernement est appelé à résoudre ces problématiques», explique-t-il. De son côté, le dirigeant d'Al Massar, Samir Taîeb, considère que «le défi socioéconomique est certes important. Mais, pour le réaliser, il faut passer par la stabilisation du pays et le rétablissement de l'autorité de l'Etat». Pour cet ex-membre de l'Assemblée nationale constituante, «la question sécuritaire est la première priorité car sa résolution permettra la reprise économique».La Tunisie a donc réussi un premier pari. Mais, il lui reste plein de défis à relever pour accomplir à souhait sa transition. BCE, héritier de Bourguiba Béji Caïd Essebsi, 88 ans, vainqueur de la présidentielle de dimanche, est un homme politique et avocat tunisien dont la carrière a marqué un nouveau tournant au lendemain de la révolution de 2011 et qui a réussi à s'imposer comme un acteur incontournable de la scène politique tunisienne. Né le 29 novembre 1926 à Sidi Bou Saïd dans une famille tunisoise, Essebsi a occupé les postes de ministre de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères sous le premier président tunisien Habib Bourguiba. Après le 7 novembre 1987 et l'arrivée de Zine El Abidine Ben Ali au pouvoir, il occupe le poste de président de l'Assemblée entre mars 1990 et octobre 1991, avant de quitter le paysage politique pour près de 20 ans. Il reviendra sur le devant de la scène à la faveur de la révolution qui a renversé Ben Ali en janvier 2011. Il est appelé à la rescousse par le président provisoire Foued Mbazâa après la fuite de Ben Ali et l'échec de Mohamed Ghannouchi, alors Premier ministre, de tenir le pays. Essebsi avait une seule mission et elle sera réussie, de l'avis unanime des observateurs et hommes politiques : stabiliser le pays et le mener à bon port pour organiser des élections réellement démocratiques en vue d'élire une Assemblée constituante. Son parti Nidaa Tounes, une formation hétéroclite qui a attiré des hommes d'affaires, des intellectuels, des syndicalistes et des militants de gauche, mais aussi des proches de l'ancien régime, a remporté les élections législatives du 26 octobre devant le parti Ennahdha. Il a été nommé Premier ministre provisoire en février 2011. Entre février et décembre 2011, le nouveau Premier ministre sera reçu par les Présidents des plus grandes puissances régionales et mondiales. Partout dans le monde, on attribue à ce vétéran de la vie politique tunisienne le succès de la révolution tunisienne. Ce père de quatre enfants se réclame de la pensée de Bourguiba qu'il qualifie de «visionnaire» et «fondateur de l'Etat moderne». Créé il y a seulement deux ans, Nidaa Tounes s'est rapidement imposé sur la scène politique comme le principal adversaire d'Ennahdha. Le parti a d'ailleurs axé sa campagne pour les législatives sur l'opposition aux islamistes, martelant tout au long de ses meetings qu'Ennahdha avait «ramené la Tunisie en arrière».