Contrairement au premier tour de la présidentielle, le candidat-président Moncef Marzouki peine à élargir son camp alors que Béji Caïd Essebsi ne cesse d'enregistrer des ralliements de partis politiques et de réseaux professionnels. Est-ce le virage décisif ? La diversité politique est mieux gérée lorsque la présidence du gouvernement et celle de la République sont tenues par le parti ou le groupe politique majoritaire au Parlement», n'a cessé de dire Rached Ghannouchi lors de ses récentes interventions dans les médias. Et les observateurs y ont vu un ralliement explicite de la direction d'Ennahdha en faveur de Béji Caïd Essebsi. Ghannouchi a même ajouté qu'il n'y a «pas de risque de retour de la dictature en Tunisie», et plusieurs observateurs ont pris ces propos pour une réponse aux craintes de Moncef Marzouki sur le retour de la dictature. Il n'y a donc pas photo. Ghannouchi est clair : la Tunisie sera mieux avec Béji Caïd Essebsi, a compris la majorité des observateurs des propos de l'homme fort d'Ennahdha, même s'il ne les a pas tenu de manière explicite. Pourtant, le conseil de la choura d'Ennahdha, plus haute instance du mouvement entre deux congrès, s'est plutôt prononcée le week-end dernier pour la neutralité dans le scrutin présidentiel. Plus encore, une forte majorité d'islamistes a voté Marzouki, lors du premier tour de la présidentielle. Ghannouchi est donc allé à contre-courant, en insinuant un soutien à Béji Caïd Essebsi. Pourquoi ? Retour d'ascenseur Selon le politologue Slaheddine Jourchi, trois raisons ont poussé Ghannouchi à lâcher Marzouki. «D'abord Ennahdha souhaite garder des attaches fortes au sein du pouvoir en Tunisie. Or, une telle option n'est possible qu'à travers une coordination avec Nidaa Tounes. Il est donc nécessaire de faire un clin d'œil à Béji pour espérer un retour d'ascenseur, même si les bases d'Ennahdha ne suivent pas», pense M. Jourchi. «Ensuite, le candidat-président, Moncef Marzouki, n'est pas parvenu, entre les deux tours, à rallier de nouveaux partis, ni des corporations professionnelles, voire même des personnalités nationales. Du coup, il est loin d'être le candidat consensuel recherché», ajoute-t-il. Pour conclure, le politologue est convaincu que «Ghannouchi ne croit pas aux chances de Marzouki de rempiler». Or, selon lui, «Ennahdha ne peut pas se permettre un nouveau revers face à Nidaa Tounes». Donc, «il vaudrait mieux investir du côté de Béji Caïd Essebsi et attendre». Par ailleurs, selon l'universitaire Néji Jalloul, membre du bureau exécutif de Nidaa Tounes, c'est plutôt Béji Caïd Essebsi, qui s'affiche désormais comme le candidat consensuel. «Sur les vingt candidats ayant effectivement concouru au premier tour de l'élection présidentielle, quinze se sont clairement prononcés pour Béji Caïd Essebsi, alors que le Front populaire de Hamma Hammami a appelé à faire barrage à Marzouki, Hachemi Hamedi est resté dans le flou et Kalthoum Kennou a rejeté les deux candidats», a-t-il souligné. Le secrétaire général du parti Al Massar, Samir Taïeb, considère, lui aussi, que le candidat-président, Moncef Marzouki, «fait le vide autour de lui». «Adnène Mansar, le président de la campagne électorale de Marzouki ne cesse de s'attaquer aux médias et aux partis politiques, alors que Mohsen Marzouk essaie de fédérer autour du président de Nidaa Tounes, ce qui propulse Béji Caïd Essebsi au rang de candidat consensuel», souligne-t-il. A la veille du second tour de l'élection présidentielle en Tunisie, les jeux sont-ils déjà faits ?