Le 20 avril dernier, la Cour suprême américaine a décidé de saisir 2 milliards de dollars des fonds iraniens gelés aux Etats-Unis. Cet argent est réclamé par les familles d'un millier de victimes américaines d'attentats fomentés ou soutenus par Téhéran, selon Washington. Entre autres, les proches de 241 soldats américains tués le 23 octobre 1983 dans deux attentats-suicide qui ont frappé les contingents américain et français de la Force multinationale de sécurité à Beyrouth et les victimes d'un attentat en 1996 contre les tours de Khobar en Arabie Saoudite, qui a tué 19 Américains. Cette décision a été qualifiée, le lendemain par le ministère des Affaires étrangères iranien, de «vol». Le 17 mai, de son côté, le Parlement iranien a voté une loi obligeant le gouvernement à réclamer des dommages aux Etats-Unis pour les «actions hostiles et les crimes» commis contre l'Iran depuis 63 ans. «Le gouvernement a le devoir de prendre les mesures nécessaires pour compenser les dommages (matériels et moraux) causés par les Etats-Unis» à l'Iran ou «à ses ressortissants depuis 63 ans», est-il relevé dans le texte. Il y est cité «les dommages matériels ou moraux» causés par les Etats-Unis depuis le coup d'Etat contre le gouvernement nationaliste de Mohammad Mossadegh en 1953, dont ceux commis durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), ceux provoqués par la destruction de plateformes pétrolières dans le Golfe ou encore l'espionnage mené par les Américains contre l'Iran. Le montant total des dommages réclamés n'a pas été fixé par les députés, mais le vice-président iranien chargé des Affaires parlementaires, Majid Ansari, a affirmé lors du débat parlementaire que «les tribunaux iraniens ont déjà condamné les Etats-Unis à verser 50 milliards de dollars de dommages pour leurs actions hostiles» contre l'Iran. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a demandé récemment aux Etats-Unis des «actions concrètes» pour encourager les banques et entreprises occidentales à revenir en Iran. Réaction qui fait suite à une déclaration conjointe des Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Allemagne, à travers laquelle ils ont appelé les banques et entreprises privées à développer des activités commerciales légales en Iran. Au-delà de l'accord de Vienne, Washington a maintenu d'autres sanctions visant le programme de missiles balistiques de Téhéran ainsi que son soutien à des mouvements armés au Moyen-Orient. Les grandes banques européennes, qui ont généralement des filiales sur le territoire américain, hésitent à établir des relations avec l'Iran, craignant des poursuites judiciaires et des amendes aux Etats-Unis. Némésis, Léviathan et les vieux démons Les rapports entre l'Occident et l'Iran ont toujours été conflictuels pour aboutir à la révolution de Khomeiny en 1979 qui a mis l'Occident dans l'embarras. L'occasion s'est présentée pourtant en Iran pour instaurer une démocratie laïque, mais les grandes puissances y ont vu une entrave dans leur quête inassouvie de zone d'influence. Le 28 avril 1951, le docteur Mossadegh devient Premier ministre. Il nationalise les richesse pétrolières du pays et en août 1953, un coup d'Etat organisé par Londres et Washington, l'«opération Ajax» et exécuté par la CIA le destitue au profit du chah Mohammad Reza Pahlavi. Ce dernier mène une politique proaméricaine. A travers sa police politique la Savak, il lamine toute vélléité d'opposition. Il se lance dans les réformes socioéconomiques, «la révolution blanche», provoquant des émeutes en 1963, d'où émerge Ruhollah Khomeiny. Opposé à cette «révolution», il critique aussi les relations militaires du chah avec les Etat-Unis. Expulsé d'Iran en 1964, il se réfugie en Irak. Déclaré persona non grata par le régime irakien, il s'exile en France en 1978. Cependant, le clergé chiite demeure l'espace le plus important qui canalise la contestation populaire anti-chah et l'exaspération des Iraniens quant à la présence étrangère notamment américaine sur leur territoire. Le chah quitte le pays en janvier 1978. Le 1er février 1979, Khomeiny entre à Téhéran consacrant ainsi le pouvoir des ayatollahs. Les événements se précipitent. Le 4 novembre de la même année, des étudiants occupent l'ambassade américaine dont le personnel ne sera libéré que le 20 janvier 1981. En septembre 1980 est déclenchée la guerre irano-irakienne suite à l'agression des troupes de Saddam Hussein. Au paroxysme de ce conflit, éclate le scandale de l'Irangate. Il s'agit de vente secrète d'armes américaines pour l'Iran. L'argent récolté sera versé aux contre-révolutionnaires nicaraguayens engagés dans une guerre contre le gouvernement sandiniste. En plus, les Américains comptent obtenir la libération de leurs otages au Liban. En octobre 1986, un avion américain transportant des armes pour les Contras s'écrase au Nicaragua. Les forces sandinistes capturent un pilote rescapé du crash qui avoue les secrets de l'opération et donne les noms de ses architectes. En novembre de la même année est révélée l'affaire ainsi que le voyage du conseiller national à la Sécurité, Robert Mc Farlane, à Téhéran. Le scandale secoue même la présidence américaine. L'opération s'est déroulée en dehors du processus institutionnel, en violation de la Constitution et des décisions du Congrès, et de l'esprit de l'opération «Staunch» destinée à empêcher Téhéran à s'approvisionner en armes même auprès des alliés de Washington. La guerre avec l'Irak prend fin en 1988. Khomeiny meurt en juin 1989, lui succède alors Ali Khamenei. Le nouveau guide tisse de forts liens avec Hachemi Rafsandjani qui finit par devenir président de la République. Ils appellent à la libéralisation économique, des réformes politiques et la reconstruction du pays. En juin 1992, pour attirer des capitaux, l'Iran adopte une loi sur l'investissement privé, les étrangers ouvrent ainsi droit à posséder la totalité d'une entreprise iranienne. Son successeur Mohammad Khatami est considéré lui aussi comme réformateur. De son côté, le président américain, George W. Bush, évoque en janvier 2002 l'«axe du mal» pour désigner les pays qui soutiennent le terrorisme et souhaitent se doter de l'arme nucléaire, à savoir l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord. L'élection d'Ahmadinedjad n'a fait qu'exacerber les tensions entre Téhéran et les puissances occidentales. Celles-ci destituent Mossadegh au profit de Reza Pahlavi pour ensuite le lâcher, vu ses ambitions régionales. D'où l'avènement de Khomeiny qui fonde la République islamique.