Imaginez un microcosme où vivent des allumettes dépourvues de sentiments, jusqu'au jour où deux d'entre elles décident de s'aimer. Dans sa nouvelle production Torchaka, Ahmed Rezzak propose de reconsidérer l'amour, dans un monde où on s'enflamme pour un rien, ou pour un tout. Comédie, chants, intrigues sont au programme les 16, 17 et 18 juin, à 22h30, au Théâtre national algérien (TNA). - Torchaka est une sorte de tourbillon où les sentiments surgissent malgré la pression et les non-dits. Quel a été le déclic pour faire vivre les allumettes sur les planches ? Je pense que la polémique des cadenas du Télémly a été un déclic pour écrire Torchaka ; cette pièce traite de l'amour et nous questionne. Il est vrai qu'il ne faut pas imiter à tout-va ce que font les autres, mais nous n'avons pas dans nos traditions un équivalent pour symboliser l'amour et on ne trouve pas, dans la société, quelque chose pour remplacer cette action qui est de marquer son amour sur un pont. Il y a des petits gestes que l'on fait par amour, c'est tout à fait noble. L'envie d'écrire sur ce sentiment était claire pour moi. Réprimer l'amour ne fait qu'accroître la frustration et la haine de l'autre. - D'ailleurs pourquoi des allumettes au royaume de Torchaka ? L'allumette symbolise le feu, la lumière, la renaissance… C'est aussi un moyen pour allumer le feu de la guerre, pour brûler. J'ai imaginé une société d'allumettes dépourvues de cœur. Cependant, dans l'intrigue, deux allumettes tentent de s'aimer et c'est à ce moment que l'on découvre comment il est difficile de s'aimer et de concrétiser le projet de couple. Dans Torchaka, on parle d'amour pur, simple, presque parfait. - Et des relations humaines ? Tout à fait. Le tout porter dans une comédie et par des têtes d'affiche. Le théâtre doit distraire son public. Finalement, les allumettes ne sont que le reflet de nous-mêmes. - Dans un des tableaux de la pièce, on entend une allumette questionner sa mère sur le sentiment qu'elle porte à son père, la réponse est évasive, la mère allumette s'étant fermée. Dans nos traditions, parfois lourdes et contraignantes, une maman doit crier pour pouvoir parler. Pour exprimer ce qu'elle ressent pour son mari et ses enfants, c'est une autre affaire ! Voyez dans Torchaka, on est dans une boîte d'allumettes, où chacune est partenaire de ce qui se trouve à sa proximité, il n'y a pas de choix. On se contente de ce qui est sous les yeux. Je crois que ce mal touche la société algérienne, la société arabe et au final, on le retrouve partout dans le monde. - Pensez-vous que l'on va vers une déshumanisation ? On n'en est pas loin. Je pense que le premier responsable est l'être humain. La décadence est à tout les niveaux. On a arrêté de réfléchir, de lire, l'intellect n'est plus l'épicentre, il n'est pas assez sollicité. Nos sociétés sont dépendantes d'un modèle de consommation farfelu, on consomme tout et n'importe quoi. - Même l'amour devient consommation ? Dans ce contexte, l'amour devient consommable afin d'assurer la progéniture, la lignée, sans plus. - Pour revenir au choix des comédiens, vous avez été les chercher un peu partout. Oui. Pour moi le «théâtre national» doit englober les 48 wilayas et pas seulement Alger. J'ai engagé des comédiens de Constantine, Annaba, Sidi Bel Abbès et bien sûr Alger. Aussi, je pense qu'il faut faire jouer les personnes connues et les moins connues pour les confronter dans l'art et les faire réfléchir sur cette pratique. Certains comédiens ont quitté les planches du théâtre pour la télévision, il est important de les faire revenir avec des productions comme Torchaka, ou autre. D'ailleurs Torchaka est au programme du TNA durant ce mois sacré les 16, 17, 18 juin et reviendra la deuxième semaine les 22 et 23 à 22h30. Après toutes les représentations à Alger, je pense qu'on entamera une tournée nationale.