Le fond marin, à certains endroits autour de l'île de Rachgoun, c'est la Méditerranée d'il y a 2000 ans!» certifie avec enthousiasme le professeur Alfonso Ramos Espla de l'université d'Alicante et directeur d'un Centre de recherches marines. C'est lors de la présentation des premiers résultats de la première phase d'une étude qu'il vient de superviser in-situ durant 8 jours. La question posée est de savoir comment concilier les intérêts contradictoires en matière de développement économique et la nécessité de préserver un site unique en Méditerranée. Layella, dénomination locale de Rachgoun, est située à 2 km de la plage de Rachgoun dans l'axe de l'embouchure de la Tafna. Chargée d'histoire depuis l'antiquité, elle mesure 800 m de long sur 200 de large, soit 38 ha de superficie. Dite Medkey Habitat et devant s'étaler sur dix mois, l'étude qui y menée est pilotée par le Centre d'activités régionales pour les aires spécialement protégées (CARASP), une institution issue de la Convention de Barcelone portant sur la création d'aires marines protégées et la protection de la biodiversité. Le professeur Alfonso en est le représentant. A Rachgoun, il est précisément question d'une cartographie des habitats marins et de la mise en place d'un système de surveillance de l'évolution de l'herbier marin. Les travaux engagés ont livré une somme considérable de données qui nécessitent pour leur décryptage 30 à 45 jours. De premiers éléments d'appréciation ont cependant été livrés aux autorités locales. Leur donnant à voir les prenantes images de la luxuriance des fonds marins visités, le professeur Alfonso a pris un malin plaisir à souligner qu'elles n'ont pas été prises aux Caraïbes, tant on s'y croirait, mais bien à Rachgoun. La faune, pour certaines espèces protégées, et la flore sous-marine sont exceptionnelles. «Je n'ai jamais pu observer une population de patelles géantes aussi dense nulle part ailleurs en Méditerranée», se réjouit le Pr Alfonso. Décimé par les pêcheurs à la ligne qui l'utilisent comme appât et par la pollution, ce mollusque est l'espèce marine la plus menacée de disparition. Quant aux eaux, elles sont jugées de très haute qualité au regard de l'état de la flore. Néanmoins, la présence de poissons de petite taille trahit le dévastateur effet de la surpêche : «En huit jours, nous n'avons rencontré qu'un mérou de 20 cm ! Là, il y a danger. Les gros poissons, ce sont les reproducteurs et s'ils ne se trouvent plus, c'est l'extinction programmée des espèces. Nous avons eu à constater que les chalutiers opéraient bien trop près de l'ile. Or, celle-ci peut être un lieu de reproduction qui permet de repeupler les alentours». Pressé de question par l'assistance, le spécialiste propose de réunir tous les intervenants dans la zone, d'expliquer la situation et d'emporter leur adhésion pour un système de gestion négocié. Pour ce qui est de la pêche par exemple, il suffirait de délimiter des zones pour chacun des types de pêche, de favoriser le petit métier, promouvoir une pêche sélective et en finir avec la pêche irrationnelle: «Les chalutiers, eux, ont tout le large pour opérer». Quant au projet d'aménagement touristique proposé sur l'île par le ministre en charge du secteur, il peut être envisagé mais dans le cadre de l'écotourisme. «Il existe actuellement des modèles d'exploitation des espaces qui peuvent faire cohabiter l'ensemble des acteurs, l'idée étant d'assurer leur protection par les usagers eux-mêmes qu'ils soient des plaisanciers, des estivants, des pêcheurs ou le citoyen lambda. A ce niveau, on ne parle plus de protection mais de conservation», est-il indiqué.