Le genre épistolaire, dit-on, ne serait plus de mise. Contre toute attente, le dernier livre de Kamel Bouchama, Lettre à René, vient prouver le contraire. Albert Camus s'en était fait l'adepte avec son livre Lettres à un ami allemand. Bien auparavant, Al Maârri, dans une lettre à un auteur imaginaire du nom d'Ibn Al Qarih, donna son sublime épître du pardon. Est-ce à dire que les défuntes formes littéraires peuvent renaître de leurs cendres ? « Une lettre, selon un auteur français du XVIIe siècle, est un écrit envoyé à une personne absente pour lui faire savoir ce que nous lui dirions si nous étions en état de lui parler. » C'est peut-être ce qui a motivé l'échappée de Bouchama dans l'espace et le temps. Il situe d'emblée son interlocuteur : « qui est René ? Tout simplement un Français que mon imagination a choisi comme un ancien élève dans ma classe, pendant la colonisation, et député à l'Assemblée nationale française, présentement. » Dans cette lettre de 181 pages, nous plongeons dans l'histoire d'un peuple violenté durant 132 ans. Réagissant à l'acte parlementaire français adopté le 23 février 2005 sur le soi-disant bienfait de la présence coloniale, Bouchama, en militant sincère et homme de dialogue, a tenu à baliser les étapes de la lutte d'un peuple pour la reconquête de sa liberté à partir de nombreux textes d'époque écrits par des Français, des Algériens et des auteurs arabes. Inscrivant son travail dans une veine réaliste, l'auteur s'installe habilement dans son rôle. Point de polémique, ni de propos exacerbés. Le louvoiement n'est pas de mise non plus lorsqu'il s'agit de l'histoire. La force des arguments vient répondre ainsi à la beauté du livre. René, l'ami imaginaire, est sereinement pris par la main pour être éclairé sur une histoire commune. Sans le mettre à mal, Bouchama s'applique à lui démontrer la force dévastatrice du colonialisme qui se considérait comme l'unique voie de rapprochement entre deux peuples différents, chose d'autant plus irrecevable qu'en 1830, la France sortait à peine de sa fameuse révolution fondée sur les idées du siècle des Lumières. A son ami, mais en fait aux générations montantes, il rappelle ce qu'entraîna l'acte odieux adopté par le parlement français en janvier 1830. Cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu'île de Sidi F'redj, amenant ainsi l'Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance. Il se trouve cependant que les tenants du militarisme français ainsi que certains nostalgiques, n'ont jamais renoncé à revenir à la charge à la moindre faille. En 1974, le président Giscard d'Estaing, en visite officielle en Algérie, s'était permis ce pernicieux jeu de mots : « La France historique salue l'Algérie indépendante. » Comme si cette Algérie indépendante tombait de la dernière pluie ! Est-il besoin d'insister sur l'absurdité de l'acte adopté dans la Ville des Lumières avant d'être annulé ? On aurait pu faire au peuple de France l'économie d'un nouveau mensonge ! Dans les années 1960, soutenant le combat du peuple algérien, des intellectuels français, emmenés par Sartre, avaient dénoncé dans Le manifeste des 121 le recours de leurs autorités à la falsification. Faut-il se prévaloir de ce document édifiant pour rappeler à certains le tort qu'ils causent à leur propre pays et partant, aux relations algéro-françaises ? L'avenir, dit l'auteur de Lettre à René en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là où notre vieille garde militante n'a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait, de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes.